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ANR - Rencontres recherche et création
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ANR - Rencontres recherche et création

Agence nationale de la recherche

Type de structure : Institution

Raconter les sentiments, modifier les sensibilités

jeudi 10 juillet 2014 | 15h00 - 17h00

Les lettres et les arts contribuent à la construction et à l’usage social des émotions, façonnant les communautés sociales ou politiques et participant à la subjectivation des individus. Les grands rituels sociaux et politiques peuvent aussi être analysés du point de vue de leur rôle dans la production des émotions. Il s’agit ainsi d’explorer comment les émotions artistiques, politiques et individuelles se nourrissent mutuellement.

Animation : Xavier De La Porte, journaliste à France Culture
Avec la participation de Giorgio Barberio Corsetti, metteur en scène, de Marie-José Malis, actrice et metteur en scène et de Nathalie Garraud & Olivier Saccomano, dramaturges.

De la dignité des émotions sur la scène tragique : Racine et le théâtre des affects

  • Sylvaine Guyot, professeur associé de littérature française et arts du spectacle, Département de Langues et Littératures romanes, Université Harvard

Témoins d’un moment de transition où la sensibilité acquiert ses lettres de noblesse, les tragédies de Racine ne cessent d’affiner les cadres d’un usage social des émotions, de réfléchir à la manière dont elles façonnent les individus et la vie en communauté, et de réévaluer la place qu’elles occupent dans la philosophie morale. La scène racinienne dramatise ainsi l’avènement d’un sujet au sein duquel la composante sensible se ménage et se cultive ; elle constitue de la sorte un lieu où s’élabore, dès la seconde moitié du XVIIe siècle, l’institution du sentiment.Si les passions excessives composent, depuis Aristote, un ressort essentiel de la dynamique tragique, la tragédie ne se résout donc pas aux conséquences désastreuses de l’expérience affective, et moins encore à l’anéantissement complet de sa valeur. Le théâtre de Racine présente au contraire plusieurs moments où l’émotion d’un cœur particulier vient à se manifester et participe à la (re)fondation de la communauté politique et/ou de l’éthique héroïque. Le corps tragique n’est donc pas seulement la chair qu’affole une passion furieuse ; il est aussi le cœur qu’émeut un sentiment fécond.

Un parallèle entre scène tragique et peinture nous permettra de montrer que cette question de la dignité du corps sensible constitue une préoccupation essentielle de l’âge « classique ». L’on verra ainsi comme le théâtre de Racine s’offre comme un cas exemplaire pour observer le rôle des Lettres et des Arts dans la construction sociale des émotions.

Saisir l’histoire des émotions en politique. L’exemple des deuils publics au XIXe siècle

  • Emmanuel Fureix, maitre de conférences en histoire moderne et contemporaine, Centre de recherche en histoire européenne com-parée, Université Paris-est Créteil Val de Marne

Saisir en historien les émotions des hommes et des femmes du passé se heurte à de redoutables difficultés : les silences des sources, l’écart entre l’expérience affective et les traces discursives qu’elle a laissées, la fausse proximité des émotions du passé, etc. Relever ce défi permet pourtant d’accéder à des formes d’expérience souvent occultées du monde social. Ceci est particulièrement vrai en histoire politique, où le rôle des émotions dans les mobilisations collectives, mais aussi dans la subjectivation des individus, mérite d’être examiné de près, dans son historicité. Les grands deuils publics du premier XIXe siècle constituent à cet égard un terrain d’enquête particulièrement stimulant. A l’heure où la béance laissée par le deuil de la Révolution (et notamment du roi-père) n’est pas encore recouverte, au moment où les normes émotionnelles sont redéfinies par la sensibilité romantique, au temps d’un nouveau  « culte des morts » (P. Ariès), les deuils politiques façonnent des émotions multiples, parfois contradictoires, qui nous disent beaucoup sur une société encore très divisée. Nous évoquerons en particulier le deuil de Louis XVI, une fois les Bourbons restaurés en 1814-1815, mais aussi les deuils frondeurs des opposants libéraux ou républicains, qui font de la mort une scène politique alternative. D’un côté l’expiation d’un passé qui ne passe pas, de l’autre l’espérance d’un futur neuf, potentiellement émancipateur et démocratique. D’un côté, des oraisons funèbres appelant au repentir général et aux larmes sentimentales, de l’autres, des éloges profanes et des serments civiques appelant au retour des libertés publiques, voire à la souveraineté populaire (notamment lors des funérailles du général Lamarque en 1832, racontées par Victor Hugo dans les Misérables). Les émotions de ces deuils seront saisies dans une triple dimension : les émotions normées, construites par les ordonnateurs de ces grands rituels, conçus comme des machines à produire des émotions ; les émotions incorporées par les participants aux rituels ; les émotions subjectivées, telles qu’elles sont énoncées par les acteurs, souvent sous la forme de discordances, parfois sous la forme de jugements moraux. Les émotions en politique ne se réduisent pas à une « effervescence collective » ou à une contagion émotionnelle de foules indistinctes, elles font affleurer le conflit dans de micro-scènes qu’il convient de reconstituer.

Être ému au théâtre

  • Alexandre Gefen, chercheur en théorie littéraire, Centre d’Étude de la Langue et de la Littérature Française, CNRS Université Paris Sorbonne

Qu’elle soit considérée comme la résurgence de rituels archaïques, pensée comme une contagion dangereuse ou comme une thérapie de l’âme (c’est la «catharsis» d’Aristote), ou un processus neuronal dans les sciences cognitives, l’émotion théâtrale est un processus aussi troublant que complexe, doté d’une immense effectivité cognitive et comportementale. Elle suppose à la fois une suspension de notre incrédulité et toute une série de projection et d’identifications : de l’auteur à une intrigue, du comédien à un personnage, du personnage à nous-mêmes. À la fois collective et individuelle, fragile et tangible, liée à l’histoire culturelle et capable de la transcender, propre au texte et devant nécessairement être incarnée, parfois revendiquée comme essentielle au jeu, parfois récusée au non d’une politique de la distanciation, l’émotion théâtrale nous mène de l’émotion de l’auteur à celle du spectateur, de l’émotion représentée à l’émotion ressentie. C’est cette chaîne des transferts affectifs riche d’enjeux éthiques autant qu’esthétiques que je voudrais évoquer, à l’aide des concepts classiques de la dramaturgie, mais aussi des propositions de la psychologie et des neurosciences contemporaines et de leurs perspectives novatrices dans l’analyse des émotions esthétiques dont le point commun est d’intégrer cognition et affects.


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