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ANR - Rencontres recherche et création
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Agence nationale de la recherche

Type de structure : Institution

Le spectacle comme expérience individuelle et sociale

Mercredi 9 juillet 2014 | 14h30 - 17h30

Le spectacle vivant engage le corps des danseurs, des comédiens, mais aussi celui des spectateurs ; attention, émotion, sensation ou perception du temps et des durées sont simultanément activées par les gestes et par le récit. En mettant des mots sur les perceptions du corps, l’expression littéraire, les arts de la scène et les arts visuels contribuent à identifier des sensations nouvelles. Les approches en littérature, en histoire et en neurosciences permettent d’analyser les formes de perception qui sont en jeu dans l’expérience artistique.

Avec la participation de Arkadi Zaides, chorégraphe

Quand les sons ont un goût sucré : synesthésie ou double perception

  • Lutz Jancke, professeur, département de psychologie, Université de Zurich

La synesthésie est un phénomène d’association automatique entre deux types de stimuli (par exemple lettres et couleurs). Il en résulte une sorte de double perception (vision-audition, son-gout,...). Ce phénomène a fait l’objet d’une attention considérable ces quinze dernières années de la part des chercheurs en neurosciences, en psychologie cognitive et des artistes. Alors que les premiers s’intéressent aux mécanismes cognitifs et psychologiques de la synesthésie, les artistes cherchent à savoir si elle ne serait pas une force motrice de leurs capacités, voire un don spécifique. La synesthésie est-elle véritablement liée à des différences générales de perception, de mémoire, de raisonnement ou bien relève-t-elle d’une capacité spécifique de l’artiste ? Qu’est-ce qui relève de la synesthésie en propre et de l’habileté à associer délibérément différentes perceptions ?

Perception du temps et illusions temporelles ?

  • Franck Vidal, professeur, Laboratoire de neurosciences Cognitives CNRS, Aix Marseille Université

On peut imaginer que le narrateur, qu’il soit conteur ou metteur en scène, souhaite induire chez son auditeur ou spectateur des sensations d’accélération ou de ralentissement de l’écoulement du temps à différents temps du récit pour en augmenter la puissance d’évocation. Les questions relatives à la perception du temps sont restées réservées aux domaines de l’art et de la philosophie pendant très longtemps. Cependant, au milieu du vingtième siècle, ces questions ont commencé à intéresser les psychologues et de là, ont pénétré le champ des neurosciences où elles sont étudiées depuis quelques dizaines d’années. Il semble que notre cerveau (comme celui du rat ou du pigeon) mesure le temps un peu à la manière d’un sablier ou d’une horloge à eau. Mais aussi remarquable soit-il, ce mécanisme, nécessite l’attention du sujet pour fonctionner efficacement. Ainsi, l’orientation de l’attention vers d’autres caractéristiques de la situation, que le passage du temps, biaise notre perception des durées. Plus l’attention se détourne du temps qui passe, plus les durées écoulées paraissent courtes. Il est bien possible que ce phénomène, qui s’apparente à une illusion temporelle, puisse être utilisé par le narrateur qui, en manipulant l’attention de l’auditeur, pourrait évoquer chez lui des illusions temporelles conformes à l’effet qu’il souhaite produire.

Les simulations perceptives dans la réception des œuvres

  • Guillemette Bolens, professeur de littérature anglaise et comparée, Université de Genève

Nous pratiquons quotidiennement des simulations perceptives quand nous activons cognitivement la mémoire de données sensorielles. Les simulations perceptives sont déterminantes pour penser, communiquer et comprendre des informations sensorielles telles que la spécificité de goûts ou de textures, ou pour comprendre un geste ou un acte quand il est raconté, avec sa qualité particulière, sa dynamique et sa durée. Plus la narration de l’acte est stylistiquement efficace, plus la simulation est susceptible d’être riche et développée. L’une des grandes forces de la littérature vient de ce que les écrivains sont souvent des virtuoses de cette traduction d’une connaissance sensorielle et motrice en langage verbal. Ils et elles savent travailler le langage pour induire des simulations perceptives chez leurs lecteurs et lectrices en ce qui concerne des données sensorimotrices complexes.

Nous observerons en un premier temps comment des œuvres visuelles (peinture chez Chardin, cinéma chez Keaton et Tati, dessin chez Sempé) activent des simulations perceptives chez le spectateur, et en un deuxième temps comment les textes littéraires activent des simulations perceptives chez le lecteur en exploitant les possibilités du langage pour communiquer des informations sensorimotrices telles que des sensations kinesthésiques (chez Cervantès) ou des expressions faciales complexes (chez Proust).

Histoire de la sensibilité et acte créateur

  • Georges Vigarello, philosophe, directeur d’études à l’EHESS, membre de l’Institut universitaire de France

La sensibilité s’est approfondie dans l’histoire de l’Occident depuis la période moderne. Elle s’est enrichie, diversifiée. Elle a pris en compte non seulement les messages venus des sens externes (la vue, l’odorat, le toucher, l’ouïe, le goût), mais aussi les messages venus des sens internes (sensations organiques, musculaires, viscérales). Autrement dit, ce qui est ressenti au plus profond du corps a progressivement trouvé des repères et des mots. Cette prise en compte, lente, mais repérable, est liée à une vision nouvelle de l’individu, « circonscrit » davantage à son existence immédiate, sa présence corporelle, ses limites physiques, loin des références à l’âme, au divin, à l’absolu jusque-là dominantes. La culture de la deuxième moitié du XIXe siècle est caractéristique à cet égard.

Ces messages « internes » ont occupé une place nouvelle dans l’expression littéraire, dans celle des arts de la scène, dans celle des arts visuels. La littérature est bouleversée dans la deuxième moitié du XIXe siècle, lorsque l’univers intérieur est devenu tout autant celui du corps. Chaque situation, chaque acte, chaque milieu, résonnent autrement, suggérant des effets intimes, physiquement éprouvés. Le contenu des impressions change, leur variété s’enrichit, leur tonalité gagne en nuances et en mots. L’Angélique de Zola, dans Le rêve, se « sent  », par le seul regard, physiquement transportée vers l’élévation des cathédrales alors qu’un tel thème demeurait jusque-là, ou moral ou ignoré. Le narrateur de Proust, évoque autrement son réveil, s’attarde aux « mémoires » de corps les plus différents et les plus personnels ici suggérés, alors que la trace de tels instants ne saurait être auparavant relevée. La danse, encore, a été bouleversée, au début du XXe siècle, avec la prise en compte d’un vaste univers pulsionnel, obscur, enfoui, s’éloignant, du coup, des seules références formelles et visibles des mouvements pour donner place à des séquences expressives jusque-là inconnues. Il s’agira, dans un tel exposé, de préciser ces références à l’« interne », de les situer dans le temps, d’en donner des exemples, d’en suggérer quelques lignes de compréhension, d’en suggérer les croisements.


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