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ANR - Rencontres recherche et création
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ANR - Rencontres recherche et création

Agence nationale de la recherche

Type de structure : Institution

Rituel, corps, performance

Mercredi 9 juillet 2014 | 10h00 - 13h00

Les danses des rituels d’initiation, des cérémonies familiales, des fêtes, des pratiques thérapeutiques en Afrique ou encore les danses mimétiques du théâtre antique ont en commun de montrer le rôle central du corps et de la gestuelle, pour incarner les identités des individus, l’organisation sociale, les récits mythologiques. La représentation et la parole s’inscrivent dans les corps. L’expérience émotionnelle et artistique mobilise tout à la fois le corps et des interactions sociales.

Ces exemples lointains permettent d’interroger le rôle du spectacle contemporain qui, s’il apparait souvent dégagé de fonction religieuse, constitue néanmoins un moment particulier de  « faire société  » et  « d’être là ensemble  ». Ce détour permet aussi de réinterroger la distinction entre théâtre représentatif, - décrivant un temps, des lieux, des évènements et des personnages en référence à une réalité - et la performance se déroulant dans le temps présent.

Avec la participation de Nadia Beugré, chorégraphe et de Sandrine Maisonneuve, danseuse.

Corps collectifs et sujets singuliers : une approche relationnelle des danses initiatiques bassari (République de Guinée)

  • Laurent Gabail, anthropologue, Centre d’Etudes Africaines, Université d’Oxford

Chaque année, en plein cœur de la saison sèche, les hommes et les femmes bassari se réunissent pendant plusieurs jours pour exécuter des grandes danses collectives. Les danseurs arborent pour l’occasion leurs plus beaux ornements, indices matériels des étapes rituelles déjà franchies. Ces grandes célébrations dansées sont l’occasion de faire apparaître publiquement les différents groupes d’âge qui constituent la société bassari, mais aussi, du point de vue des danseurs, de donner à voir les relations qui font de chacun d’entre eux des individus singuliers. En présentant simultanément l’identité des danseurs sous une forme singulière et collective, les dispositifs chorégraphiques bassari illustrent de manière exemplaire une idée centrale de l’initiation masculine : les initiés sont à la fois des individus singuliers, définis par des relations de parenté et d’amitié qui en font des sujets uniques, mais aussi des membres d’un collectif plus vaste, une promotion initiatique au sein de laquelle chacun est supposé être le strict équivalent de tout autre. Dans cette communication, je prendrai pour exemple la danse considérée comme la plus prestigieuse du répertoire chorégraphique des Bassari, et j’essaierai de montrer de quelle manière les performances dansées favorisent l’émergence d’un contexte à partir duquel les relations construites dans le rituel sont publiquement exhibées. Je reviendrai également sur un aspect central de l’esthétique de ces danses : du point de vue des Bassari, ce sont moins les mouvements du corps qui focalisent d’attention que les mouvements des ornements des danseurs. En effet, l’idéal esthétique poursuivi par les Bassari consiste à rendre saillants les mouvements des ornements pour reléguer au second plan ceux des corps. La conséquence de ce choix esthétique est double : d’une part, cela permet d’atténuer les différences individuelles en présentant les danseurs comme un seul groupe indifférencié, composé de corps indiscernables ; d’autre part, la focalisation sur les ornements permet de mettre en avant les conditions de leur obtention, soulignant ainsi la nature stratégique des échanges et emprunts d’ornements, lesquels ne peuvent se réaliser qu’entre des sujets individualisés, définis par les relations singulières qu’ils entretiennent avec d’autres.

Le «corps parlant» du danseur antique : gestuelle, identité et perception

  • Ruth Webb, professeur de langue et littérature grecques, Unité Mixte de Recherche 8163 « Savoirs, textes, langage », Université Lille 3Les spectacles qui attiraient les foules aux théâtres de l’Empire romain (comme ceux d’Arles, Orange ou Lyon) n’étaient plus les tragédies ou comédies classiques mais de nouveaux genres tels la pantomime, forme de danse mimétique dans laquelle un seul artiste représentait des histoires mythologiques par ses mouvements et ses gestes. Ces danseurs devaient incarner une série de personnages masculins, féminins, humains ou divins pendant une seule représentation et cette capacité à se transformer sans cesse en « parlant » avec leur corps leur valut l’admiration des spectateurs. Les quelques indications techniques qui sont parvenues jusqu’à nous suggèrent un art complexe où des gestes codifiés se mêlaient à la représentation d’actions en danse et des effets rythmiques. Les spectateurs étaient ainsi appelés à jouer un rôle actif dans la création du spectacle en complétant en imagination, grâce à leurs connaissances, les mouvements et les gestes visibles sur la scène.

Cette analyse de la danse pantomimique résulte d’une lecture attentive des textes écrits par des intellectuels païens et chrétiens dont beaucoup font preuve de mépris pour ces danseurs qui osent « briser » leur corps masculin pour jouer des rôles féminins en adoptant des gestes et des postures caractérisés par les formes et mouvement ondulants qui étaient particulièrement associés au corps féminin. Cette lecture fait apparaître d’autres caractéristiques de la danse dans une culture où le geste était souvent censé précéder et conditionner l’âme et où la perception elle-même (la vision surtout mais également l’ouïe) pouvait elle aussi transformer le spectateur ou auditeur. Dans ces conditions, l’identité du danseur posait un véritable problème : à quel point le danseur devenait-il le personnage qu’il incarnait par ses gestes ? Comment définir l’artiste dont le propre était de se transformer sans cesse ? Plus grave encore était le danger qui menaçait tout spectateur qui se laissait entrainer par le spectacle au point d’imiter les gestes du danseur. Les discours sur la danse qui nous laissent entrevoir ces caractéristiques de la danse et son impact sur les spectateurs antiques fournissent ainsi un témoignage précieux de la pensée antique concernant l’effet de la vision du corps en mouvement qui correspond de manière étonnante aux découvertes récentes telles les neurones miroirs et la capacité du cerveau à compléter des représentations partielles.

La représentation mentale et neuronale du corps et de ses mouvements affectifs

  • Beatrice de Gelder, professeur, psychologie et neurosciences, Laboratoire de neurosciences cognitives et affectives, université de Maastricht et Université de Tilburg

Depuis des siècles les philosophes, les anthropologues, les ethnologues se sont poses des questions fondamentales sur l’importance des expressions émotionnelles aussi bien individuelles que sociales. Avec Darwin, le rôle des émotions est devenu aussi un des sujets central de la biologie. Au début du siècle dernier, les travaux de William James ont installé la question des émotions au centre des débats de la psychologie empirique en cours de développement. En parallèle, les travaux de Freud mettent en évidence l’importance cruciale des affects dans la vie mentale et la santé de l’individu. Mais bien que Darwin et James aient largement abordé l’importance du corps et son rôle dans les interactions sociales, la psychologie des émotions est resté largement individualiste et s‘est essentiellement attaché à l’étude de la perception des expressions faciales. Dans un premier temps, les neurosciences de la cognition ont continué cette tradition et ont hérité du même individualisme et mentalisme dans leur approche des émotions. Mais depuis une décennie une série de nouveaux sujets sont désormais abordés, reflétant d’une part les nouvelles techniques mis à disposition des neurosciences (par exemple, usage de réalité virtuelle, captation de mouvement, animation, mesures physiologiques, neurofeedback). Le corps et ses mouvements affectifs, aussi bien du sujet solitaire qu’en interaction avec les autres, représentent un nouveau champ de recherches pour les neurosciences qui s’intéressent aux processus affectifs, aux mécanismes à la base des interactions sociales et à l’expérience émotionnelle et artistique. Les travaux conduits en neurosciences sur le thème de la perception du corps affectif et sur les processus affectifs produits chez le spectateur et chez le participant dans une interaction affective, sociale permettent d’explorer la relation entre nos connaissances actuelles sur la perception des mouvements affectifs individuels, le rôle de l’interaction et l’expérience de l’observateur-participant.

Théâtre et performance : l’évasion de la représentation

  • Philip Auslander, professeur, Ecole de littérature, media et communication, Georgia Institute of Technology

La question des relations entre les concepts de « théâtre » et de « performance » est complexe et peut être approchée sous des angles variés. D’un certain point de vue, le terme de performance est le plus englobant et le théâtre peut être vu comme un type de performance. Mais depuis plusieurs décennies, certains envisagent la performance comme un genre spécifique, parfois appelé « arts de la performance » ou « live art ». Dans cette perspective, la performance et le théâtre sont vus comme des catégories non seulement différentes mais même opposées. Cette opposition part de l’idée que le théâtre est nécessairement représentatif dans le sens où il décrit un temps, des lieux, des événements et des personnages de fiction, alors que la performance échappe à la « représentativité ». En effet, selon cette optique la performance est anti-théâtrale et « anti-représentationnelle » : le seul contenu de la performance est ce qui est en train de se passer dans le temps présent et dans les circonstances de la performance elle-même, sans référence à une réalité représentée. Mais, comme le soulignent certains commentateurs, cette tentative d’échapper à la représentation, dont rêvait Antonin Artaud, est extrêmement difficile à atteindre et pourrait bien en fait être impossible. On se demandera donc si et comment la création peut se faire hors de l’art de «représenter ».

Création chorégraphique, statut social et notion de personne dans le Sénégal urbain

  • Helene Neveu Kringelbach, anthropologue, chercheur associée au Centre d’Etudes africaines, Université d’Oxford

En milieu wolof, au Sénégal, la danse fait partie intégrante des moments importants de la vie, des cérémonies familiales aux réunions entre femmes, fêtes de quartier et pratiques thérapeutiques. Pourtant, danser en public n’est une activité considérée comme convenable que lorsqu’elle est pratiquée dans certains contextes sociaux et par certaines catégories de personnes. En effet, historiquement, la performance musicale et chorégraphique en public est considérée comme étant du domaine des griots (géwël) et d’autres catégories héréditaires d’artisans, pour lesquels on utilise le terme « castés » (ñeeño). Ces catégories sont perçues comme possédant des capacités innées pour la danse et la musique. Leur performance, qui se doit d’être rémunérée, est essentielle pour préserver la vitalité de la communauté et valider le statut des personnes de statut « libre  » (géér). Pour les autres, la danse se doit d’être restreinte au contexte des cérémonies familiales, des réunions d’associations féminines ou des fêtes de quartier (pour les jeunes), sous peine de mettre en jeu le statut moral des participants. D’autre part, pour les personnes de statut « libre  », le mouvement dansé doit apparaître contrôlé, afin de refléter la réserve associée à ce statut. Lorsque le mouvement déborde et que les participants se laissent aller au plaisir de la danse, parfois de manière très sexualisée, l’on explique alors le débordement comme ayant une origine extérieure à l’individu.

Dans ce contexte, quelles transformations sociales sont mises en jeu lorsque des jeunes de statut « libre » choisissent de devenir danseurs ? La danse contemporaine, en particulier, exige que les danseurs-chorégraphes soient conscients du processus de création et puissent l’articuler verbalement. La prise de conscience des capacités corporelles qui accompagne la création contemporaine représente alors un changement important dans la perception de l’origine du mouvement et engendre de nouvelles conceptions de la personne, plus valorisantes pour l’individu, mais aussi plus risquées sur le plan moral. L’étude de la danse en milieu urbain au Sénégal permet d’étudier la capacité du spectacle vivant à transformer l’expérience des participants, notamment à travers l’acquisition de nouvelles techniques de création.


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