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ANR - Rencontres recherche et création
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ANR - Rencontres recherche et création

Agence nationale de la recherche

Type de structure : Institution

Réinventer le réel : politique, imaginaire, utopie

La vraisemblance d’une œuvre de fiction est liée soit à ses relations avec la réalité matérielle ou historique soit à la vérité des passions qu’éprouvent les personnages ou des normes et idéaux qui les guident. En cela, la fiction est un exercice pour envisager d’autres mondes possibles. Interpréter le monde social de façon alternative est aussi le moteur de l’engagement des individus dans l’action collective

  • Avec la participation de : Thomas Pavel, professeur de littérature française et comparée, Université de Chicago ; Pierre Singaravélou, professeur d’histoire contemporaine, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre de l’Institut universitaire de France et Quentin Deluermoz, maître de conférences, Université de Paris 13, membre de l’Institut universitaire de France ; Nadège Ragaru, historienne et politiste, Centre de Recherche Internationales, Sciences Po Paris ; Haim Burstin, professeur d’histoire moderne, Université de Milan-Biccoca ; Fréderic Sawicki, professeur de science politique, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; Maëlle Poesy, metteur en scène (France) ; Kevin Keiss, auteur et Omar Abusaada, metteur en scène (Syrie)

Descriptif des interventions

La vérité de la fiction

  • Thomas Pavel, professeur de littérature française et comparée à l’Université de Chicago

Il existe au moins deux manières de rendre vraisemblable une œuvre de fiction : son auteur peut soit souligner ses liens avec la réalité matérielle et historique – décors, costumes, institutions et coutumes – soit mettre en valeur la vérité des passions qui agitent les personnages et celle des normes et des idéaux qui les guident. Alors que le réalisme du dix-neuvième siècle insistait sur la pertinence historique et sociale des œuvres littéraires, cette tâche a été par la suite dévolue à la littérature populaire, en particulier au roman policier. En revanche, la vérité de passions et des idéaux, qui avant l’essor du réalisme, a fourni la source principale de la vraisemblance littéraire, a été pendant l’hégémonie du réalisme subordonnée à la vraisemblance matérielle et historique. Elle ne s’est libérée de cette position que grâce aux romans et aux films à grand succès, lesquels, à l’instar du roman policier, sont devenus, jusqu’à récemment, les principaux supports de la vérité de la fiction.

Écrire une histoire des possibles

  • Pierre Singaravélou, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Quentin Deluermoz, maître de conférences à l’Université de Paris 13, sont membres de l’Institut universitaire de France

A lire les ouvrages d’histoire, anciens ou très récents, il apparait que la question des potentialités et des possibles du passé est omniprésente, mais comme cachée. Si quelques chercheurs, et non des moindres, assument le raisonnement contrefactuel (« et si... ? ») dans leurs travaux, la plupart des historiens y recourent de façon implicite, ou s’en excusent, comme s’il s’agissait d’une entorse aux règles de la discipline. Partant de ce constat, nous nous interrogerons d’abord sur les raisons, pas nécessairement infondées, de cette méfiance. Puis nous envisagerons les conditions et les modalités d’écriture qui permettent d’interroger ces possibles du passé, avant de montrer finalement en quoi cette exploration est en fait nécessaire. En permettant un usage renouvelé des notions de contingence et de déterminisme, en rappelant que le recours à l’imagination historique, sous certaines conditions, renforce le statut scientifique de l’histoire, et en interrogeant les modes de narration historique, cette démarche peut aboutir à une histoire documentée, ouverte, défatalisée, riche de ses non-advenus – ce qui ne signifie pas que tout est toujours possible. Dès lors, cette question semble appartenir de plein droit à l’enquête historique, en prolonger les exigences. Ce faisant, écrire l’histoire des possibles permet d’enrichir la portée sociale du travail historien, que ce soit en approfondissant sa dimension critique ou en autorisant des formes originales de co-production d’une histoire interactive et vivante. Car le possible fait bien partie du réel du passé.

Fictions d’avenir : sciences et temps des socialismes est-européens ou littératures des utopies et changements politiques

  • Nadège Ragaru, historienne et politiste, chargée de recherche, Centre de Recherche Internationales, Sciences Po Paris

Un rêve d’émancipation, la projection d’une vie autre : l’on a fini par oublier que pour ceux qui placèrent leurs attentes dans l’édification du socialisme, c’est l’espoir d’un avenir meilleur, œuvré de main d’homme, que les régimes est-européens ont un temps incarné. Or cette ambition prométhéenne, habitée d’une pensée utopique antérieure à la révolution russe, était également portée par une vision des sciences et des prodiges de la raison savante. Les formes d’enchantement (et du désenchantement) associées au projet communiste peuvent être interrogées en revenant plus particulièrement sur la conquête du cosmos et sur la manière dont cette ambition d’un dialogue avec la voûte céleste contribua à produire un moment historique où se conjuguèrent une impatience d’avenir et une certaine bienveillance envers les privations du présent. Situé partiellement au-delà de la division Est-Ouest, ce moment s’épuisa durant les dernières décennies du communisme, l’utopie côtoyant désormais la dystopie (contre-utopie), ultime ressource face à des quotidiens enserrés dans une temporalité vécue comme circulaire.

Devenir révolutionnaires : acteurs et protagonistes

  • Haim Burstin, professeur d’histoire moderne, Université de Milan-Biccoca

Qu’est ce qu’une révolution ? C’est avant tout une grande aventure collective qui mobilise la société dans son ensemble. Mais ce qui distingue une révolution à part entière des autres formes d’émeute ou de révolte, c’est sa capacité d’ouvrir concrètement le monde des « possibles ». Dans ce sens, toute révolution entretient un rapport strict avec le rêve et l’utopie. Mais une révolution est aussi un saut dans le vide avec des inconnues imprévisibles ou simplement imprévues, où les rêves se heurtent avec rudesse à la réalité en essayant de la dépasser. Rêve et réalité se livrent alors un combat dans lequel les révolutions ont, la plupart des fois, tendance à s’enliser. Leur expérience reste néanmoins comme témoignage d’un effort prométhéen. La Révolution française, qui, dans sa radicalité et sa complexité, a pu se développer jusqu’à des conséquences extrêmes, met en scène un inventaire très riche de figures : une séquence d’attitudes, de réactions, de postures, et de comportements destinés à devenir paradigmatiques. Parmi ces dramatis personae on trouve bel et bien des gens du commun qui accèdent pour la première fois à la cité en tant qu’acteurs ou même protagonistes ; leur adhésion ainsi que leur participation active contribuent à la complexe théâtralisation de cet événement.

Quand l’engagement suit l’action

  • Fréderic Sawicki, professeur de science politique, Centre de recherches politiques de la Sorbonne, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne

L’un des principaux acquis des sciences sociales est d’avoir montré que les injustices, même quand elles sont verbalisées par les individus, n’engendrent pas nécessairement l’engagement dans des actions collectives. A rebours d’une vision séquentielle qui présuppose que la prise de conscience est le préalable indispensable à l’engagement, les recherches récentes sur les mobilisations vont plus loin en établissant que celles-ci, par la dynamique qu’elles enclenchent et par les nouveaux cadres interprétratifs qu’elles diffusent, sont de puissants éléments déclencheurs de l’engagement d’individus qui y étaient peu prédisposés. L’on comprend ainsi comment des groupes sociaux longtemps réputés apathiques ou peu politisés puissent tout à coup se soulever et devenir des protagonistes de l’histoire en train de se faire. Mai 68 ou, plus récemment, les révolutions arabes en fournissent des exemples particulièrement marquants, mais le constat vaut aussi pour des mobilisations plus sectorielles. Ce constat débouche sur le rejet de tout fatalisme mais aussi sur l’importance de préserver dans toute société des espaces critiques où s’engendrent et s’entretiennent des façons alternatives d’interpréter le monde social.


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