theatre-contemporain.net artcena.fr

ANR - Rencontres recherche et création
Photo de ANR - Rencontres recherche et création

ANR - Rencontres recherche et création

Agence nationale de la recherche

Type de structure : Institution

Imaginer l'autre

Samedi 9 juillet 2016 | 9h30 – 12h30

La capacité des individus à comprendre l’état subjectif des autres est essentielle pour éprouver de l’empathie et pour appréhender les relations complexes entre les personnes et les groupes sociaux. Il s’agit d’imaginer l’autre dans ce que nous avons de semblable et de différent. Passer par la fiction permettrait-il de mieux percevoir l’autre, de réduire son étrangeté ?


  • Avec la participation de : François Dubet, sociologue, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), professeur des universités émérite, Université de Bordeaux ; Dominic Thomas, professeur de français et d’études francophones, Université de Californie – Los Angeles ; Katherine Ibbett, enseigne les lettres françaises et la littérature comparée, University College London ; Tatjana Nazir, directrice de recherche au CNRS et directrice de l’Institut des Sciences Cognitives – Marc Jeannerod, CNRS-Université Lyon 1 ; Emanuele Castano, professeur et directeur du département the psychologie, New School for Social Research, New York et Cornelia Rainer, metteur en scène (Autriche)

Descriptif des interventions

Reconnaître autrui : confirmation ou menace ?

  • François Dubet, sociologue, directeur d’études à l’Ecole des hautes études s en sciences sociales (EHESS), professeur des universités émérite, Université de Bordeaux

Le plus souvent la reconnaissance d’autrui est vécue comme une confirmation de sa propre identité. Dans la mesure où autrui est conforme à ce qu’il doit être, je suis conforme à ce que je pense être. Ce type de relation sociale, si banal qu’on ne le perçoit guère, soude la représentation des sociétés intégrées. Mais que se passe-t-il quand autrui est perçu comme profondément différent et qu’il demande à être reconnu comme un membre égal et respectable de la même société ? Aujourd’hui, dans un monde mobile et divers, cette exigence de reconnaissance est devenue la règle. Mais elle est souvent perçue comme une menace car, reconnaître une différence minoritaire comme étant égale, signifie que sa propre identité n’est plus celle de l’évidence et de la nature des choses. Dès lors, la reconnaissance est, à la fois, un devoir et une épreuve. Pour surmonter cette épreuve des différences, il nous faut être capable de définir ce que nous avons de commun et de semblable. Il nous faut imaginer l’autre comme un autre nous-même.

L’exhibition de l’autre

  • Dominic Thomas, Université de Californie, Los Angeles, États-Unis

Le mythe du sauvage et « l’imagination de l’autre » deviennent une réalité en Occident avec les « zoos humains », premier phénomène de masse du XIXe. Devant les yeux des visiteurs, qui à l’époque ne voyagent pas à travers le monde, et s’inscrivant dans les expositions universelles avec leurs millions de visiteurs, les « zoos humains » répondent aux fantasmes et aux inquiétudes de l’Occident sur l’ailleurs et donnent une réalité au discours racial alors en construction, tout en répondant aux attentes et à la curiosité des visiteurs. Ces spectacles et ces théâtralisations ont fasciné des centaines de millions de visiteurs grâce à la diversité des corps exhibés, nus et inconnus, différents et puissants, « difformes » et « multiformes », étranges et étrangers, et induisent encore aujourd’hui une relation complexe entre « Nous et les Autres », un autre importé, exhibé, mesuré, montré, disséqué, spectularisé, scénographié, selon les attentes d’un Occident en quête de certitudes sur son rôle. Ces questions sont au cœur des débats contemporains sur le racisme et les processus de racialisations.

Compassion et politique : réception littéraire

  • Katherine Ibbett, maître de conférences en lettres françaises et littérature comparée, University College London

La compassion est souvent appréhendée comme un sentiment qui nous rapproche les uns des autres mais celle-ci est aussi susceptible de renforcer nos divisions. Le discours compassionnel – compassion, pitié, sympathie – du dix-septième siècle est un moyen de concevoir la violence de la différence religieuse, non pas parce qu’elle serait liée à une théologie partisane mais parce que la nature de la compassion est elle-même partisane. La compassion érige des distinctions et les surveille ; elle tient l’autre à distance. La compassion est aussi centrale pour la réception littéraire : la tragédie y apparaît comme une école morale. Comment est-ce que la compassion distanciée et partisane structure alors notre rapport à la littérature ? Pour certains, considérer que la compassion serait aussi une inquiétude pour nous-mêmes, pour notre propre souffrance éventuelle, marque la faiblesse de cette émotion ; pour d’autres, ce même constat ouvre la voie à une réflexion sur la vulnérabilité humaine. En retraçant les théories sur la compassion comme réponse aux textes et aux spectacles de théâtre, on voit naître une certaine esthétique compassionnelle – non pas celle, larmoyante, participant à la valorisation de la sensibilité au dix-huitième siècle, mais une esthétique affective distanciée, répartissant les places, qui donne lieu à une certaine vision politique.

Fiction et cognition incarnée

  • Tatjana Nazir, directrice de recherche au CNRS et directrice de l’Institut des Sciences Cognitives - Marc Jeannerod, UMR 5304 (CNRS-Université Lyon 1)

Les philosophes ont souvent fait l’éloge de la littérature pour ses effets bénéfiques sur le plan cognitif, émotionnel ou moral. Aujourd’hui, pour la première fois, nous possédons des outils expérimentaux permettant d’obtenir un aperçu des mécanismes cognitifs à l’origine de ce phénomène. Il y a plus de 10 ans, des études d’imagerie cérébrale ont permis de montrer que, pendant le traitement du langage, nous utilisons les régions du cerveau qui sont généralement engagées dans la perception et dans l’action. De fait, lors de l’écoute d’une phrase telle que « La pomme est rouge », nous activons les régions du cerveau impliquées dans la perception des couleurs sont activées alors qu’une phrase comme « Fiona écrit une lettre » active les régions du cerveau impliquées dans la planification et l’exécution d’une action de la main. Cette « simulation mentale » induite par l’information contenue dans la phrase influe sur notre comportement. Les musiciens et les sportifs, par exemple, utilisent intentionnellement de telles simulations mentales pour améliorer leurs performances. Quant à la lecture de fictions, ces simulations mentales permettent d’imaginer le visage de l’héroïne de Roméo et Juliette, ou de sentir l’ambiance mélancolique dans À la Recherche du temps perdu de Proust. Il est capital de souligner ici que la force des images mentales induites par le langage dépend de la façon dont les mots sont utilisés pour décrire les protagonistes et le contenu. En d’autres termes, le style compte. Au-delà du contenu, les différences de styles et leurs capacités à provoquer des images mentales plus ou moins fortes pourraient être un élément essentiel distinguant la fiction dite « littéraire » de la fiction dite « populaire ».

Esprits imaginaires, mondes réels. est-ce que les romans et les films influencent la façon dont nous percevons la réalité sociale ?

  • Emanuele Castano, professeur et directeur du département the psychologie, New School for Social Research, New York

La capacité à identifier et à comprendre l’état subjectif des autres est l’un des produits spectaculaires de l’évolution humaine. Elle permet à l’individu de se situer dans des relations complexes et favorise les réponses empathiques qui les entretiennent. Des déficits dans cet ensemble de compétences, communément dénommé Théorie de l’esprit (TdE), sont associés à des psychopathologies marquées par des difficultés relationnelles. Mais même lorsque cette capacité est intacte, le désengagement des compétences inscrites dans le cadre de la TdE est lié à une dégradation des relations positives interpersonnelles et intergroupes. Les travaux récents dans le domaine des sciences cognitives ont établi une distinction entre la TdE affective (la capacité à détecter et à comprendre les émotions d’autrui) et la TdE cognitive (l’inférence et la représentation des croyances et intentions d’autrui).

Afin d’apprécier les effets de la lecture d’œuvres littéraires de fiction sur ces différentes compétences, les expérimentations mises en œuvre se sont attachées à comparer tout d’abord, les effets d’une lecture de fiction avec ceux d’une lecture de non-fiction et ensuite, les effets de lecture d’œuvres littéraires et de fiction populaire. Après avoir lu différents extraits de textes les participants étaient soumis à une série de tests de TdE. Les résultats montrent clairement un effet positif et spécifique de la lecture de romans littéraires sur les compétences affectives et cognitives de la TdE. La fiction littéraire semble donc nous aider à appréhender les autres dans leur spécificité. Bien que la fiction en général puisse véhiculer des valeurs sociales et réduire la perception explicite de l’étrangeté de l’autre, la relation observée entre la lecture de romans littéraires et la TdE pourrait s’expliquer par des caractéristiques plus subtiles du texte. Ainsi, le roman littéraire pourrait façonner la manière de percevoir l’autre, plus du fait des caractéristiques linguistiques du texte qu’à cause de l’information explicitement donnée sur le contexte social.

Les résultats de ces approches expérimentales rejoignent la vision proposée par Barthes sur la capacité de la fiction littéraire à bousculer les attentes des lecteurs et à contester leur réflexion qui se reflète dans la distinction qu’il opère entre les textes scriptibles et lisibles.


imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.