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ANR - Rencontres recherche et création
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Agence nationale de la recherche

Type de structure : Institution

Passions, violences et pouvoir - Normes et transgressions

Vendredi 8 juillet 2016 | 14h30 - 18h00

Motifs récurrents de la tragédie grecque, comme de nombreuses formes théâtrales ou littéraires, les figures du monstre et la vengeance sans fin sont au cœur de la représentation des violences collectives. Entre respect des normes d’une société ou d’un groupe et leurs transgressions c’est la civilisation qui est, dès lors, interrogée.

  • Avec la participation de : Ismaêl Moya, chargé de recherche CNRS en ethnologie, Université Paris Ouest Nanterre La Défense ; Wes Williams, professeur de littérature de la renaissance et moderne, Université d’Oxford ; Richard Rechtman, ethnologue et psychiatre, directeur d’études Ecole des hauts études en sciences sociales (Ehess), directeur du labex Tepsis « Transformation de l’Etat, Politisation des Sociétés, Institution du Social, Psychiatre des hôpitaux » ; Fiona Macintosh, professeur, chaire de Réception des classiques, Université d’Oxford, Directeur « Archive of Performances of Greek and Roman Drama » et Didier Sandre, Comédien de la Comédie Française

Descriptif des interventions

La scène familiale du fondamentalisme. Formes, limites et paradoxes du réformisme islamique à dakar (Sénégal)

  • Ismaël Moya, chargé de recherche CNRS, Laboratoire d’éthnologie et de sociologie comparative, Université Paris ouest Nanterre La Défense

L’anthropologie sociale est une manière de nous mettre nous-mêmes en perspective ou, pour le dire autrement, de partir des différences culturelles pour adopter un autre regard sur nos évidences. La question est alors : de quel point de vue regarder ?
Un des ressorts dramatiques de Damnés de Visconti est la mise en tension de la parenté et de l’histoire : la montée du nazisme en Allemagne, intensifiant à l’extrême les conflits au sein d’une famille, aboutit à son annihilation progressive, illustrant ainsi l’effondrement moral d’une société. Cette contribution propose de regarder le fondamentalisme musulman sur une scène identique : la vie familiale de la petite minorité salafiste d’un quartier de Dakar, la capitale de la république laïque du Sénégal. Prendre la famille comme point de vue pour observer le radicalisme religieux, c’est le regarder à travers une série de relations instituées, conflictuelles et intimes (entre les sexes, les générations...) et d’évènements (naissance, mariage, mort...) souvent célébrés à travers des rituels. Les salafistes aspirent à un changement radical vers une vie uniquement gouvernée par leur vision de l’islam. Ils y parviennent la plupart du temps dans leur vie religieuse individuelle et communautaire, tout en se tenant aussi éloignés que possible de la politique. Ces mêmes personnes nous paraissent toutefois étonnamment prêtes à tempérer leur radicalisme et négocier leurs principes religieux lorsqu’il s’agit de leur vie familiale. Ces aménagements ne sont cependant pas des formes de transgression des normes religieuses. À l’inverse, ils interrogent notre conception du fondamentalisme et de son rapport à la normativité. La scène familiale permet ici d’explorer les limites de la radicalité religieuse et les conditions de sa socialisation.

« Comme un monstre effroyable à mes yeux »

  • Wes Williams, professeur de littérature de la renaissance et moderne, Université d’Oxford

Monstrum monstrat suggère St Augustin. Le français des 15ème et 16ème siècles lui donne raison : « le monstre monstre ». Des chroniques Rabelaisiennes jusqu’à la Phèdre de Racine, ces créatures porteuses de sens figurent comme autant d’allégories (morales, politiques, esthétiques...) tout au long de la période prémoderne. A en croire Ronsard, il n’y aurait rien de plus monstrueux que la guerre civile, dite « intestine ». La misère majeure de son siècle, ce n’est pas la menace de l’Autre, mais la défiguration du corps social en « tant de sectes nouvelles / tant de creuses cervelles / tant de monstres difformes / Qui en naissant prennent diverses formes ». De cette monstruosité pénible et douteuse, Montaigne fait l’image même du sujet en procès, sinon de la condition humaine : « nous sommes, je ne sçay comment, doubles en nous mesmes, qui fait que ce que nous croyons, nous ne le croyons pas : et ne nous pouvons deffaire de ce que nous condamnons ».
e monstre, c’est aussi ce qu’on montre : objet spectaculaire dont l’écart par rapport à la nature (voire, la norme) fascine autant qu’il répugne. Le « classicisme » de Racine est profondément travaillé par l’imagination de ces guerres intestines qui n’en finissent pas de signaler la migration du monstre hybride jusqu’au cœur de notre modernité.
En témoignent les frères ennemis de La Thébaïde, ce « monstre naissant » d’un Néron amoureux, ou, encore, la force monstrueuse de l’imagination passionnelle de Phèdre. Le monstre épouvantable qui signe la mort d’Hippolyte ne se laisse pas voir. Mais si Racine évite pour une fois de « faire monstre » (comme on disait alors) d’une catastrophe on ne peut plus spectaculaire, ce n’est pas parce qu’il se soumet, servile, aux fameuses règles. C’est pour nous faire écouter le grain d’une voix d’autant plus effroyable, qu’elle est monstrueusement humaine.
De Rabelais à Racine, en passant par Montaigne et Shakespeare, Corneille et la poésie politique de Ronsard... jusqu’aux Damnés de Visconti : le monstre nous invite à nous interroger sur ce qui reste de l’humain dans cette modernité dite « civilisée » qui est la nôtre.

L’ordinaire de la violence extrême

  • Richard Rechtman, ethnologue et psychiatre, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, directeur du labex Tepsis « Transformation de l’Etat, Politisation des Sociétés, Institution du Social »

Les crimes de masse révèlent une extraordinaire perméabilité de la frontière entre la norme et la transgression. Les récits de « bourreaux ordinaires » dont on dispose aujourd’hui montrent, chez ces hommes et ces femmes, un lien entre le désir d’établir une nouvelle norme de pureté et la glorification de l’acte transgressif d’extermination. C’est le glissement permanent de l’un à l’autre qui caractérise le métier de « tueurs de masse ». Il est associé à une redistribution des codes de la conscience et à une recomposition des figures de l’altérité. Les transgressions les plus graves et les plus intolérables à la conscience collective ne sont pas telles aux yeux de ceux qui les mettent en œuvre au quotidien. De même que Les Damnés donnent à voir l’instauration d’un régime qui renverse la perception de l’Autre, on envisagera, à partir de cas de changement des normes (dans la propagande nazie ou chez les génocidaires Rwandais) et de banalisation du meurtre par sa répétition quotidienne (comme sous les Khmers rouges dans le Cambodge des années 1975 – 1979) comment la violence extrême correspond à une modification des processus «d’altérisation» et donc des racines mêmes des normes.

Vengeance et destin

  • Fiona Macintosh, professeure, chaire de Réception des classiques, Université d’Oxford, directeur de l’ « Archive of Performances of Greek and Roman Drama »

Depuis la tragédie grecque, le principal élément déclencheur du tragique, c’est la vengeance. Pourtant des pièces comme Hécube d’Euridipe et Titus Andronicus de Shakespeare ont été largement absentes des répertoires théâtraux en Europe de la Renaissance jusqu’à la fin du vingtième siècle. Mais pourquoi ces deux pièces se sont-elles aussi souvent vu refuser le statut de « tragédies », et ont été désignées plutôt comme des « pièces de vengeance » ? Certes avec Hécube qui venge son fils en tuant son assassin, mais aussi les enfants de celui-ci, comme dans Titus, avec des vendettas familiales en série, la vengeance est bien le cœur de ces œuvres. Dans les rares cas où leur appartenance au tragique est admise, elle passe par la création d’un sous-genre, la « tragédie de vengeance ». De plus, celle-ci est généralement considérée comme une lignée tragique illégitime, une descendance des pièces romaines de Sénèque plutôt que des tragiques grecs. Si on a de la sorte souvent jugé nécessaire de préserver les « hautes » tragédies (celles du modèle grec), c’est que la vengeance porte en elle une ambiguïté morale. Pourtant, les pièces de cette lignée de la vendetta familiale, pleines de sang et de viscères, se révèlent dotées d’un dynamisme puissant : elles font apparaître que la vengeance ciblée et réfléchie a toujours figuré, pas moins que les méditations sur le destin, au cœur du tragique.


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