theatre-contemporain.net artcena.fr

ANR - Rencontres recherche et création
Photo de ANR - Rencontres recherche et création

ANR - Rencontres recherche et création

Agence nationale de la recherche

Type de structure : Institution

Après la guerre !

Mardi 9 juillet 2019 | 14h00 - 17h30

Le retour de Lénine

  • Jane Burbank, professeur, histoire et études russes et slaves, New York University

Lénine, renommé dans son pays, mais rejeté, exilé vers l’est et l’ouest : est-il possible de repenser son retour en Russie en avril 1917 – un événement bien mythifié dans notre temps – à la lumière du retour d’Ulysse ? Quelques aspects du trajet de Lénine évoquent des ressemblances entre personnalités charismatiques, les traits des hommes qui cherchent le contrôle de leur destin et des destins des autres. Expulsés, bannis des leurs patries, ces individus hors normes s’orientent vers l’avenir et leur retour en majesté au pouvoir. Ils reconnaissent la tentation de vivre comme les autres, mais sont capables de gérer leurs propres émotions. Ils utilisent leur connaissance intime des faiblesses de l’humanité pour la dominer, pour se mettre à part et au-dessus de leurs compagnons de route. Ils sont réalistes, matérialistes, pragmatistes, prêts à se déguiser dans la foule pour se tenir debout à la fin du voyage. Le voyage a un but fixe, mais ils sont les seuls à comprendre ou, exactement, nous allons tous arriver. Convaincre leurs compagnons d’obéir pendant les voyages errants est difficile, il est encore plus difficile d’animer les dernières étapes – souvent cruelles – vers la réalisation de leurs visions anormales, utopiques. Ils bravent les dieux (séculaires ou immortels), sèment la terreur, pour mieux réussir le retour, la conquête, la victoire ultime.

L’aventure aussi a une histoire : genèse d’une mystique moderne

  • Sylvain Venayre, professeur, histoire contemporaine, Laboratoire Universitaire Histoire Cultures Italie Europe, Université Grenoble-Alpes

De quand date le désir d’aventure ? Certains diront qu’il est proprement humain et qu’il est là depuis toujours. Ils en chercheront les preuves dans les plus anciennes œuvres littéraires, à commencer par L’Odyssée. D’autres l’identifieront au vocabulaire lui-même et trouveront ses origines dans les romans d’aventures médiévaux ou chez les premiers « aventuriers » ainsi nommés en Europe, aux XIVe- XVe siècles. Mais on peut défendre une troisième hypothèse : ce que nous appelons « aventure » daterait de la fin du XIXe siècle, lorsqu’un ensemble de vertus suprêmes furent accordées à la quête de l’aventure et que l’aventurier, défini comme celui qui cherche l’aventure à l’exclusion de tout autre chose, est devenu un modèle d’existence. Cette troisième hypothèse soulève néanmoins une question cruciale : qu’est-ce qui aurait changé à la fin du XIXe siècle, dans les conditions de vie en Occident, pour qu’on ait ressenti le besoin de faire de l’aventure le cœur d’une nouvelle mystique ?

L’héroïsme du potentiel caché

  • Alain Ehrenberg, sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS, membre du CERMES3 (Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société), Université Paris Descartes, EHESS, CNRS, INSERM, Sorbonne Paris Cité

Le potentiel caché est l’un des plus puissants et des plus ordinaires idéaux de nos sociétés imprégnées par les imaginaires de l’autonomie individuelle. Il désigne l’individu capable, quels que soient ses déficits, ses déviances ou ses pathologies, de s’accomplir en transformant ses handicaps en atout par une création, une innovation ou un changement qui augmente sa valeur en tant que personne. Associant des vertus traditionnelles de courage et de ténacité à celles plus nouvelles de créativité et d’innovation, cet idéal est la forme sociale spécifique par laquelle des populations diagnostiquées malades, handicapées ou déviantes, traitées jusqu’alors au sein d’institutions que le sociologue Erving Goffman a appelé des « institutions totales », sont devenus des individus capables non seulement de connaître des accomplissements, malgré le mal qui les atteint, mais peut-être plus encore grâce à lui. C’est dans l’autiste de haut niveau, qui est passé en quelques décennies des fins fonds de l’arriération mentale au statut de super individu, que cet idéal se montre de manière exemplaire.

Exotisme, altérité et naissance du structuralisme

  • Vincent Debaene, professeur de littérature française, université de Genève

Tristes tropiques doit sa renommée au récit et aux photographies que Claude Lévi-Strauss a donnés de sa rencontre avec plusieurs groupes d’Indiens du Brésil à la fin des années 1930. Pourtant, le livre ne commence pas par la relation d’un voyage, mais par celle d’un exil et d’une fuite : pour échapper aux persécutions du régime de Vichy, Lévi-Strauss embarque en février 1941 avec d’autres intellectuels et artistes (André Breton, Wifredo Lam, Anna Seghers...) sur le Capitaine-Paul-Lemerle, véritable « camp de concentration flottant », selon les mots de l’écrivain communiste Victor Serge qui est, lui aussi, du voyage. Lévi-Strauss passe les années de guerre à New York, et c’est là-bas que naît l’anthropologie structurale, qui prendra sa forme définitive dans les années 1950.

Se succèdent ainsi trois moments : la quête de l’altérité exotique ; l’exil à New York ; et, après la guerre, l’invention du structuralisme – moins un mouvement qu’une méthode et un mode de pensée – , qui refonde la comparaison entre les cultures en même temps qu’il particularise la civilisation occidentale. Comment penser cette succession ? Ne fait-elle que refléter les aléas d’une existence prise dans le tourbillon de l’histoire ? Ou bien y a-t-il une articulation entre ces trois expériences ? Et si oui, quelle est-elle ?

Les ruses des pathogènes franchissant les frontières

  • Frédéric Keck, anthropologue, directeur de recherche CNRS, directeur du Laboratoire d’anthropologie sociale, (CNRS-Collège de France-EHESS)

L’un des récits fondateurs du vingtième siècle est celui de la pandémie de « grippe espagnole » qui eut lieu à la fin de la Première Guerre Mondiale et tua plus de personnes (50 millions selon les estimations récentes). Les enquêtes épidémiologiques et microbiologiques qui ont suivi cette pandémie ont montré qu’elle était causée par un nouveau virus de grippe qui était passé des porcs aux humains et des Etats-Unis vers le reste du monde. Se mit alors en place une stratégie visant à anticiper les mutations des virus de grippe aux frontières entre les espèces de façon à éviter sa diffusion à travers les frontières politiques. Cette stratégie fut la source de nouveaux récits dans les années 1990 lorsque des virus issus de chauve-souris et de singes émergèrent en Afrique et lorsqu’un virus de grippe aviaire apparut en Asie. Les médias s’en emparèrent pour faire de la pandémie un nouvel imaginaire de la mondialisation dans lequel les microbiologistes apparaissent comme des chasseurs de virus. Ils savent se mettre à la place des pathogènes, percevoir les voies qu’ils empruntent dans les fermes, dans les marchés et dans les villes comme autant de points de vulnérabilité pour les collectifs humains. Les virologues peuvent parcourir le monde en simulant les mutations des virus en laboratoire. En analysant leurs séquences génétiques, ils détectent les ruses par lesquelles ceux-ci débordent les frontières entre les espèces. Les franchissements de barrière d’espèces peuvent être décrits comme des événements aléatoires dans l’évolution des séquences génétiques ou comme des catastrophes politiques intentionnellement voulues par des ennemis. Les hommes rejouent ainsi la guerre contre les virus en imaginant leurs ruses.

Musique et harmonie sociale à l’époque moderne

  • Anne Piejus, directrice de recherche CNRS, musicologie, Institut de recherche en musicologie (IREMUS), CNRS, BNF Ministère de la Culture, Sorbonne université (membre du projet ANR Molière 21 et des Labex OBVIL et ResMed)

L’usage politique, dans l’Europe moderne, de musiques qui non seulement célèbrent la paix, mais participent aussi d’un projet de pacification, invite à se tourner également vers les liens privilégiés que la musique entretiendrait avec l’harmonie sociale. Au-delà de la célébration du pouvoir, le thème d’une harmonie sociale favorisée par la musique s’impose aux XVIe et XVIIesiècle comme un motif récurrent aussi bien dans les textes programmatiques accompagnant l’édition de musique pieuse, que dans l’iconographie profane. Si le socle théorique que constituent les théories antiques des effets de la musique demeure extrêmement présent, on observe à cette époque, dans la manière dont les artistes traitent ce thème, un net déplacement vers des préoccupations collectives qui concernent différents registres de sociabilité, allant de la sphère amoureuse et familiale aux réjouissances aristocratiques et populaires. En s’appuyant sur quelques œuvres musicales, quelques textes et quelques-unes des très nombreuses représentations iconographiques de ce thème, notamment dans la peinture flamande et hollandaise, on souhaite évoquer un certain nombre de déclinaisons du thème, et interroger les effets de socialisation produits par la musique.


imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.