Né d'un riche chevalier romain, Sénèque jeune est exilé en Corse par Claude, puis grâce à Agrippine revient pour être le pédagogue de Néron, dont il sera ensuite le ministre après avoir approuvé, sinon conseillé, le meurtre de sa mère. Il est stoïcien et adepte d'une conception monarchique d'un pouvoir charismatique. Mais en désaccord avec les rêves néroniens, il abandonne ses fonctions officielles et, entraîné dans la conjuration de Pison, qui visait peut-être à le porter sur le trône, il doit se suicider.

Sénèque a été l'auteur de plusieurs dialogues philosophiques et d'une importante correspondance avec son ami Lucilius. On ignore quand il écrivit ses tragédies, avant, pendant ou après l'expérience du pouvoir. Neuf d'entre elles sont parvenues jusqu'à nous : Agamemnon, Hercule furieux, Hercule sur l'Œta, les Phéniciennes, les Troyennes, Médée, Œdipe, Phèdre et Thyeste. Contrairement à une idée reçue, ces pièces sont des œuvres spectaculaires et ludiques, intelligibles seulement si l'on reconstitue leur fonctionnement scénique, car la parole est organisée non par une rhétorique et une syntaxe mais par le jeu de l'acteur.

Il est difficile d'apprécier aujourd'hui la place originale de ces pièces dans la tradition tragique romaine, puisque nous n'avons conservé des autres poètes tragiques que quelques fragments. Cependant, il est remarquable que rien de la pure doctrine stoïcienne ne transparaisse dans le théâtre de Sénèque ; seule s'exprime une philosophie de la médiocrité, sorte de vulgate stoïcienne, prêtée au chœur et aux personnages secondaires sans qu'aucun héros n'incarne la grandeur surhumaine du sage stoïcien ; les héros de Sénèque sont tous des furieux, c'est-à-dire des anti-sages. Même Hercule, figure exemplaire du stoïcisme, dans les deux tragédies portant son nom, n'est grand que par sa monstruosité. C'est pourquoi il est tentant de penser que dans cette culture romaine où l'écriture n'est pas un moyen d'expression de la personnalité, biographique ou intellectuelle, les tragédies de Sénèque témoignent plus d'un genre dramatique traditionnel, strictement codifié, que d'une création poétique singulière.

Cependant hors de son énonciation théâtrale et seulement lu, ce théâtre, dans la mesure où il présente des figures de tyrans fous, était susceptible d'une interprétation politique. Il devient ainsi le lieu de débats complexes entre le pouvoir du prince et la mémoire de la cité. Les protestants s'identifièrent aux Troyennes persécutées par les Grecs et les républicains des cités italiennes virent dans Atrée la figure exemplaire de leurs princes. C'est pourquoi après avoir été le modèle de Shakespeare* et des Élisabéthains, comme des Espagnols du siècle d'or, ainsi que des poètes baroques français (Rotrou*, Garnier* et le jeune Corneille*), le théâtre de Sénèque disparaît victime de la monarchie absolue. On lui préfère les tragiques grecs, en particulier Euripide*, politiquement moins sulfureux. C'est ainsi que les pièces de Sénèque ont été lues à la Renaissance, comme du théâtre politique. Aujourd'hui Sénèque rencontre l'adhésion du public par sa violence directe et son pessimisme sans pathos (dans les mises en scène, notamment, de Thyeste et des Troyennes par Farid Paya, Théâtre du Lierre, 1994).

Bibliographie

• Sénèque, Théâtre complet, trad. F. Dupont, 2 vol., l'Imprimerie nationale, « le Spectateur français », Paris, 1991.
• Les tragédies de Sénèque et le théâtre de la Renaissance, dir. J. Jacquot, Éd. du CNRS, Paris, 1963
• P. Grimal, Sénèque et la conscience de l'Empire, les Belles Lettres, Paris, 1978
• F. Dupont, l'Acteur roi. Le théâtre à Rome, les Belles Lettres, Paris, 1985.

F. DUPONT