theatre-contemporain.net artcena.fr

Pas de photographie de cet auteur

Lynda Lagadec

France

Présentation

Portrait d'acteur

Apparemment farouche, Lynda Lagadec serait à apprivoiser. Une loi d'engagement pour le théâtre semble la régir, sans dissociation de la vie. L'étonnement de tirer le fil de sa mémoire est sans coquetterie, il se situe dans le registre d'une belle gravité.

Ce qui m'a amenée au théâtre au départ, c'est le comment j'étais constituée.
Enfant, dans mes préoccupations il y avait : "comment dire ce qu'il ne faut pas dire". Le théâtre, c'était un jeu merveilleux, ça autorisait la parole. De façon ludique et sans gravité, ça permettait de dire la vérité et de l'entendre, chacun étant protégé par le fait que cette vérité était contenue dans une histoire qui, elle, n'existait pas.
Après il y a eu la rencontre avec les auteurs. Je faisais du théâtre sans savoir qu'il existait des auteurs de pièces de théâtre !!.

A quinze ans, en arrivant au lycée, Yves Steinmetz m'a proposé de jouer Juliette dans Roméo et Juliette , je n'avais jamais lu Shakespeare.
De l'endroit où j'étais, Shakespeare, c'était absolument phénoménal.
Il avait su dire des choses très réelles et très vraies que j'étais incapable de formuler et les avaient écrites sublimement bien. Ce qu'il avait écrit allait pouvoir se dire. Etre comédien ça devenait : avoir la responsabilité de faire entendre ce que disait Shakespeare.
Le rêve, c'était de penser qu'en entendant cela, les gens réfléchiraient et sortiraient grandis.
Le texte de Lionel Spycher, c'est comme un poème. Ca n'a rien d'une pièce réaliste ou d'un documentaire sur la banlieue.
J'ai toujours peur de parler du texte de Lionel parce que j'ai peur de tomber dans des clichés. La pièce, elle parle de la banlieue, des jeunes, de leurs problèmes, mais pas avec ces mots-là. Elle aborde les noeuds et les impasses qui existent dans la "cité" avec une subtilité et une exactitude qui dégagent la situation de toute complaisance. Il n'y a aucun "étalage" ni aucun "voyeurisme",comme fait toujours la télé par exemple.
La pièce, en apparence, est très simplement écrite. Ca c'est la pointe de l'iceberg. Les mots sont simples, pas méchants et tout le monde peut les comprendre. Le travail qu'on fait avec Joël Jouanneau, est de mettre en lumière tout le reste de l'iceberg, c'est à dire : qu'est-ce que ça dit vraiment ces mots-là. Et ce que ça dit, c'est violent. D'autant que c'est en regard de notre société et qu'on a le nez collé dessus. il n'y a pas la distance qu'il y a avec une pièce d'une autre époque, alors, c'est plus compliqué à jouer.
La pièce ressemble à une tragédie classique, mais d'aujourd'hui. Quelque chose avance, de terrible, d'inévitable, qui va finir par tout engloutir. Et chacun se débat comme il peut à l'intérieur deça.

Ce qui est passionnant avec Joël Jouanneau, c'est qu'il ne fait pas seulement un travail sur l'histoire : qu'est-ce que la pièce raconte et qu'est-ce qu'elle veut dire ? mais il fonde ce travail sur un autre travail qui est comment elle le raconte, c'est à dire comment la pièce est structurée, quelle est la structure du texte.
C'est un champ d'exploration très riche et pour le comédien un point d'appui énorme, parce que, ça indique le personnage dans comment est structurée sa parole ; la structure du texte donne la manière dont il s'exprime et pas seulement ce qu'il exprime.

Et la structure de la pièce rythme et donne la respiration de l'histoire. C'est son poumon, son coeur.
C'est considérer l'oeuvre dans ce qu'elle est en totalité, c'est à dire son fond et sa forme. C'est tenter de rester cohérent quant à son sens.

Le temps de la répétition aujourd'hui, c'est un luxe parce que ça a un coût. On pourrait ne jamais s'arrêter de chercher, fouiller, perfectionner et il faut bien s'arrêter à un moment donné. Mais ce qui fait la qualité du travail au final, ce n'est pas la quantité de temps qu'on a passé, c'est comment on l'a abordé dans ce temps-là.

Ce qui est si agréable dans la rencontre avec Jérôme Robart, Mounia Raoui, Antoine Mathieu et Lionel Spycher, c'est que chacun a su avec évidence se situer au même endroit du travail, selon une petite règle du jeu donnée le premier jour par Joël : "Il s'agit de servir le texte, non de se servir de lui". C'est à dire d'être capable d'abandonner toute idée personnelle, même géniale, si elle n'est pas cohérente avec l'oeuvre que l'on met en scène. Parce que l'on ne peut pas tout mettre sur un plateau sans risquer de ne plus rien voir de l'oeuvre que l'on défend. Or il s'agit d'elle avant tout.
Concrètement, ça veut dire apprendre à faire fi de son orgueil et de son narcissisme quand c'est nécessaire, s'autoriser à ne pas savoir et à se tromper, pour pouvoir conserver l'espace de libertéindispensable à la découverte de ce qui constitue le caractère fondamental de ce que l'on joue. C'est réellement du travail.
C'est ce qui permet aussi de ne pas tricher.
Ca demande beaucoup de confiance, de la simplicité et une grande humanité.
Au théâtre de Sartrouville où nous répétons actuellement, toutes les conditions sont réunies pour cela. Outre que l'on est "bichonné " par l'équipe du théâtre, chacun à l'endroit où il est, prend son travail très à coeur, tente de le faire toujours mieux et ça, ça apporte du bonheur.
Les personnages de Lionel ont cela de très noble et de si touchant. : il leur est nécessaire que leurs paroles et leurs actes ne soient pas dissociés. C'est cette sincérité qui fait leur force et leur fragilité, et qui rend la pièce si "imbibée d'émotion" comme le dit Jérôme.
La parole, c'est devenu quelque chose de compliqué. Aujourd'hui les mots sont trop banalisés, connotés, détournés. Ils perdent leurs sens pour prendre des sens qu'ils n'ont pas. Et avec eux c'est toute pensée qui a besoin de ces mots-là pour s'exprimer, qui perd son sens. Ils se vident de leur valeur et sont récupérés par des produits de consommation qui se déguisent avec.
Tout le monde peut prendre la parole de l'endroit où il se trouve, mais cet endroit détermine beaucoup si elle peut être entendue ou pas et par qui.
Moi je trouve souvent que l'on devrait parler un peu moins et réfléchir un peu plus à ce que l'on fait. Aujourd'hui, on voudrait avoir une conscience très pure tout en profitant de tout. Alors dans la parole, on est contre certaines choses et dans nos actes, on veut continuer à profiter de ces choses-là. Ca devient très confus, le monde vu sous cet angle.
Que la pièce se joue au théâtre Gérard Philipe, ça fait sens avec la politique que mènent Stanislas Nordey et toute son équipe sur la tentative de rendre le théâtre plus accessible, plus ouvert et donc plus populaire.

Commencer par faire des tarifs moins chers qu'une place de cinéma pour les gens de Saint-Denis, c'est concret, c'est un premier pas réel et ça fait du bien dans la profession. ça paraît tout à coup exceptionnel, mais c'est la moindre des choses pour un théâtre subventionné, de service publique. Qu'il n'y ait plus d'invitations, ce n'est pas du snobisme pour moi, ça pose la question de qui va au théâtre aujourd'hui. Si j'enlève la profession, qui reste-il?. Et cette question-là est importante, parce que s'il n'y a plus de public, pourquoi y aurait-il encore du théâtre, on ne va pas faire de théâtre qu'entre gens de théâtre pour se montrer comment on est intelligent.
Le fait que les théâtres soient un peu vides, ce n'est pas par hasard, ça ne vient pas seulement du manque d'instruction, de connaissance ou de culture du potentiel spectateur qui n'est pas là ; il y a aussi une part de responsabilité de l'autre côté quant à la qualité de ce qui est fait théâtralement.
Quand quelque chose de juste se passe sur un plateau, moi je crois très naïvement que quiconque reçoit cette chose-là.
Si les gens sont touchés par ce qui se joue il reviendront, sinon il n'y a pas de raison qu'ils reviennent.
Tout cela ne veut pas dire : en jouant Pit-bull au Théâtre Gérard Philipe, les gens de la cité vont venir et on va jouer pour eux. J'espère qu'ils viendront, mais il ne s'agit pas de jouer pour un certain public seulement.
Moi, en tout cas, je veux me détacher de l'idée que ce serait ça. Même si la pièce d'elle-même en posant un regard sur un endroit de "la cité" soulève le problème de la banlieue, il ne s'agit pas de faire de l'animation sociale ou de débattre de la banlieue ; il s'agit de faire du théâtre. On raconte une histoire où il y a cinq personnages qui ont chacun leur point de vue. Le rêve, le fantasme,ce n'est pas de jouer pour une certaine couche de la population, c'est de jouer pour tout le monde ; que tous les gens viennent, qu'ils voient la pièce, et après on pourra débattre de ce que l'on souhaite.
J'ai peut-être une vision complètement illusoire du théâtre mais je suis trop jeune pour m'arrêter de rêver.

J'ai beaucoup de mal avec les interviews parce que ce n'est pas le lieu pour moi. Si j'ai choisi ce métier c'est parce que j'aime jouer. Ce que j'ai à dire, ce n'est qu'à l'endroit de mon travail,dans comment j'aborde mon travail. Après il y a d'autres gens pour parler, analyser.

Propos recueillis par Marie Raymond
Extrait du programme n°14 - Théâtre Gérard Philipe

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.