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Don Duyns

Pays Bas – Né(e) en 1967

Présentation

BITS AND PIECES
- l'auteur dramatique dans son époque -
autoportrait fracassé par Don Duyns

Que fait un auteur dramatique ? Que veut un auteur dramatique ? Pourquoi il ou elle n'apprend pas simplement un métier, quelque chose qui rapporte ? Un saxophoniste joue du saxophone, un boulanger fait le pain, une prostituée donne son corps contre de l'argent à des mecs louches, mais que fait un auteur dramatique ? Ou plus personnellement : pourquoi moi je m'appelle auteur dramatique, alors que d'autres activités me prennent plus que la moitié de mon temps ?

D'abord la réponse à la question : que fait un auteur dramatique. La réponse, du moins selon moi, je peux très bien m'imaginer que Racine et Shakespeare ne seraient pas d'accord pour des raisons multiples, s'ils lisaient cette revue, la réponse est la suivante : un auteur dramatique - et voilà ma définition - casse des morceaux de langue dans des unités prononçables, place des noms de personnages et/ou des rôles au-dessus et espère par la suite que des gens, de préférence des comédiens cultivés, donneront leur accord pour à nouveau recoller ces 'fragments linguistiques' au moyen d'une représentation, afin de les faire entendre à un public de visiteurs (de préférence au porte-monnaie bien garni).

Écrire du théâtre, je poursuis, est l'art de ne pas formuler ce qui ne peut pas être formulé. Un art délicat ; il s'agit de la vibration 'entre les mots', et nullement de la platitude des mots en soi. L'auteur dramatique se doit de (d)écrire quelque chose qui n'est pas du tout là encore, qui ne peut pas du tout être là encore : le contexte de ses mots plus tard sur la scène. L'auteur dramatique doit penser à l'acteur, la scénographie, le public ; mais en même temps il ou elle doit complètement oublier ces choses-là.

Me concernant : j'ai toujours voulu être auteur dramatique, en tout cas depuis le lycée. Je lisais Fassbinder, Shakespeare, Pinter, Beckett, Hugo Claus, Frans Strijards et beaucoup d'autres auteurs dramatiques et décida à mon tour de devenir un des leurs. Pourquoi ? Oui, pourquoi ?

Peut-être parce que le travail de ces auteurs dramatiques que je lisais réveillait en moi quelque chose qui a toujours été là : un sentiment presque romantique de ne pas être à sa place, d'être perfectible, d'une présence indésirable au mauvais moment. Et à présent je le suis. Auteur dramatique. Bien sûr, pour gagner un peu d'argent ou pour faire en sorte que l'on monte mes pièces ça m'arrive de mettre en scène ou d'écrire pour la télévision, mais mon coeur est dévoué au traîne-patins des genres littéraires : l'écriture dramatique.

2.

Justement à cause de son imperfection, l'écriture dramatique est pour moi la meilleure façon de décrire la 'condition humaine'.

Mes pièces sont volontairement 'pas finies'. Elles ont un début et une fin (la première et la dernière page) mais il manque un développement psychologique des personnages, au sens classique du terme. On ne peut presque pas parler d'un dénouement et surtout pas d'une 'structure à cinq actes'. Déjà dans la préface de ma première pièce pour le théâtre professionnel ("Vermoulu") j'écrivais :

'L'ordre des textes n'est pas fixe, il n'a pas non plus été fixé s'il s'agit de 'dialogues' ou de 'textes secondaires', le nombre de personnes qui devrait interpréter ces textes n'est pas non plus fixe, comme il n'a pas été fixé si ce texte devrait être joué du tout, puisqu'il n'est pas du tout fixé ce que le texte 'veut dire' en fait. Ce dont ce texte parle a été fixé par contre. Ce texte parle de village, meurtre, homme, femme, amour, vache, haine, pourriture, mort, fellation et profond désespoir.'

('Note de l'auteur', Vermoulu, 1989)

C'est un leitmotiv qui m'a depuis toujours guidé. Un texte dramatique est un objet utilitaire et, à condition que les intentions de base de l'auteur soient plus ou moins respectées, un metteur en scène peut en ce qui me concerne déverser dix kilos de larves sur scène, insérer des textes de quelqu'un d'autre ou mélanger plusieurs de mes textes à sa guise. Cette apparente désinvolture concernant mon propre travail vient en fait de ma passion pour le théâtre. J'aime le théâtre lorsqu'il est vivant, lorsqu'il respire et rugit. Je n'aime pas le théâtre d'auteur statique et peureux.

Ca ne m'intéresse absolument pas de décrire l'ennui de l'homme moderne, ou le non-sens de l'existence, ou d'intenter une action contre la manière traditionnelle d'écrire des pièces. Que les gens continuent surtout à écrire des pièces-bien-faites. Que les gens cernent surtout le monde dans des modèles, des diagrammes et des graphiques. Seulement: moi, je n'y crois plus.

Non, j'écris comme j'écris (en 'bits and pieces'), parce que je pense que le monde, du moins tel qu'il entre de façon filtrée dans ma tête, est constitué simplement de petits bouts isolés, des morceaux de saleté, des restes d'amour, une pincée de haine, etc. Selon moi le monde est indicible si l'on veut le raconter au moyen d'une recette traditionnelle.

La dramaturgie très ancienne du conflit ne satisfait plus à la demande du théâtre. Pour les films hollywoodiens d'accord, mais au théâtre on peut - et on doit - faire entendre et faire voir d'autres choses. Au théâtre on peut montrer ce qui se passe à l'intérieur de la tête. On peut entraîner les gens vers des endroits du monde de l'esprit où jamais ils n'iront autrement. Au théâtre règne encore le silence et la concentration pour se faire.

3.

Je m'intéresse à l'intérieur, à la structure de la pensée, au fonctionnement des choses dans la tête. Comment les choses se déroulent dans la tête des gens. Espoir, désirs, fureur, émotions refoulées, folie, passion, et que sais-je. Je m'intéresse surtout à ces bribes de langage qui pour moi incarnent l'être humain. Ca peut être un monologue concernant un petit pain rond aux raisins, mais aussi un dialogue concernant des loups hurlants au loin dans la forêt. Peu importe, du moment que ça cause une douleur cuisante.

Les textes que je livre pour être utilisés au théâtre ne sont jamais fixes. Dans mon écriture on ne trouve pas de descriptions interminables du décor, de l'action et des motivations. Pas non plus de dramaturgie de cause et effet. Pas de fusil dans le premier acte et de coup de fusil à la fin du quatrième. Dans mes pièces j'espère créer un univers où chaque voix compte, un univers où désespoir et idéalisme se disputent la première place, un univers où la crainte de la taille de la voie lactée se trouve au même niveau que le désir de bavarder avec un copain :

ELLE
Tu m'aideras quand les loups viendront ?

IL
Oui, je le ferai.

ELLE
Et tu me couvriras de ton manteau ?

IL
Si tu as froid, oui.

ELLE
Et tu me raconteras des histoires quand il fera nuit ? Des contes de fée?

IL
Oui, c'est ce que je ferai. Je ferai tout ça.

ELLE
Heureusement. Dis donc. Car ils nous ont vraiment oubliés. Je crois.

(extrait de "Le renfermé", 1998)

Au bout du compte il s'agit toujours de réconfort. Réconfort et attendrissement. Je veux toucher les gens avec mes textes, je veux que mes textes me touchent moi aussi. Je veux partager mes sentiments concernant le (non)sens de l'existence, via toutes ces bouches qui prononcent mes phrases. Et lorsque les gens comprennent cela, qu'ils le sentent (ce qu'on a mis dans une pièce), c'est ce qu'il y a de plus beau au monde. C'est peut-être la raison pour laquelle je le fais, finalement. Pour partager quelque chose.

4.

Une âme sentimentale ? Peut-être. Mais après tout John Lennon chantait déjà : "You may say I'm a dreamer, but I'm not the only one" ?

Et alors !

Don Duyns, Amsterdam
Traduit du néerlandais par Mike Sens

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