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Couverture de L'Une de l'autre

L'Une de l'autre

de Nadia Xerri-L


L'Une de l'autre : Extrait

(…)


Lila :
Ça ne t’intéresse pas là où je t’ai eue ?


Dahlia :
Non.


Lila :
Vraiment ça ne t’intéresse pas ?


Dahlia :
Déjà tu me l’as dit.


Lila :
Ah bon ?! Déjà je te l’ai dit ?!


Dahlia :
Mille fois déjà tu me l’as dit.


Lila :
Hé bien alors dis-le ! Dis ce que déjà mille fois je t’ai dit !


Dahlia :
J’y gagne quoi ?


Lila :
Rien à gagner. Tu dis, c’est tout !


Dahlia :
Rien à gagner : je ne parle pas.


Lila :
Dahlia !


Dahlia :
Mais c’est à toi que ça plait que je dise.
Et moi, alors, j’en retire quoi, j’y gagne quoi ?


Lila :
Je l’ai toujours fait pour toi, dire pour toi, chaque fois que tu me l’as demandé, j’ai dit pour toi.
Alors ton tour maintenant. Maintenant à ton tour. C’est ta charge de revanche.


INSTANT


Dahlia :
L’amour.



Lila :
C’est tout ? L’amour ? C’est tout ? Rien de plus ? Rien de plus de l’amour que j’ai fait à quatorze ans juste pour te griller, tu en avais dix-sept ?
Incroyable. Sidérant. Tu es mauvaise, là. Vraiment, tu es mauvaise. N’en dire rien de plus. Je le vois l’amour que j’ai fait à quatorze encore coincé dans ta gorge !
Pas de ma faute à moi si à dix-sept ans tu étais toujours coincée sur la ligne de départ. Si à dix-sept ans malgré tout ce que tu racontais, laissais entendre, tu étais assise dans tes starting-blocks.


Dahlia :
Arrête ça.


Lila :
Mais le désir, ça ne se contrôle pas. Ça se saute en parachute avec même pas une petite pichenette dans le dos. Avec le désir, je n’ai pas pu t’attendre. Je n’ai pas pu te céder le passage, mais allez-y mademoiselle, allez-y je vous prie, après vous.
Alors, oui, je t’ai eue, je t’ai grillée. Et dans les belles largeurs. Parce que je ne pouvais pas mieux te griller qu’avec l’amour.
Et j’ai été fière de moi. Et j’ai dansé la carmagnole. Je ne suis plus à la corde ! Je ne suis plus coincée dans sa roue ! Ça y est, j’ai réussi ! Je l’ai enfin compris l’effet rampe de lancement. Je m’échappe. Surtout Lila, ne te retourne pas, ne gâche pas une miette de ton énergie, mange du goudron, avance, Lila, avance, c’est après que tu te retourneras et vérifieras ton avance, vérifieras qu’elle est loin là-bas, petit point comme immobile coincé dans le bas de la montée ! Tu la tiens, là, ta victoire, Lila ! Tu la tiens, il y a les cris, les houra, les applaudissements. Tu l’as ta victoire, Lila !
Je suis rentrée à la maison. J’effleurais le sol.


Mais continue, toi, continue ! C’est à toi de continuer !


Dahlia :
Tu as sonné comme d’habitude pour qu’on t’ouvre, tu n’avais pas tes clefs. C’est la mère qui t’a ouvert. Tu étais incroyablement silencieuse. Même moi du fond du couloir, porte de ma chambre fermée, j’ai entendu ton incroyable silence. Ton incroyable silence victorieux, prétentieux, pédant.


Lila :
Tu n’as pas le droit. Juste tu racontes, tu dis. Tu fais comme on fait. Tu fais comme on joue.


Dahlia :
Aux pfft, pfft de tes pas sur la moquette, j’ai su. Tu étais au-dessus. Je l’ai su la porte de ma chambre fermée. J’ai attendu que tu frappes au mur de nos deux chambres, que tu m’appelles, que tu cries mon prénom, que tu m’appelles encore. J’ai compté les quarts d’heure. Tu étais au-dessus, et tu en as fait le show : cette fois-là pas de musique, pas de cris, ni de roucoulements. Avec ton incroyable silence, oui, tu en as fait le show.


Lila :
Tu ne tenais pas en place. Tu as arrêté ta musique et fermé les fenêtres de ta chambre.


Dahlia :
Pour mieux écouter, pour mieux t’entendre, je me suis assise sur mon lit et je n’ai plus bougé et j’en ai voulu aux voisins du dessus de leurs pas claqués au sol.


Et il a fait nuit ce mercredi. Il a fini par faire nuit ce mercredi, et ni toi ni moi n’avions bougé


Lila :
C’est la mère qui sans se rendre compte de notre incroyable silence a tout bousculé.
La table pas encore mise. La vaisselle du midi toujours pas faite. Le repas pas cuisiné. Elle seule face à nous comme une immonde souffrance qui crie, se plaint et pleure.


Dahlia et Lila :
Elle va se taire ?



Dahlia :
Et sorties de nos chambres, je t’ai vue.
Ton visage si clair. Tes yeux plus grands que ton visage. Tes cils plus recourbés. Ta peau… transparente comme une dentelle. Tu étais à part. Je t’ai regardée longtemps. La mère est repartie à la cuisine. Elle criait. Je t’ai regardée longtemps comme une grande qui en un instant voit grandir sa petite. Je t’ai vue grande cadette.


Lila :
Tu n’as pas été manger.


Dahlia :
Je ne pouvais pas.


Lila :
Tu avais su sans même que je te dise.


Dahlia :
Je suis retournée dans ma chambre. J’ai regardé une à une chacune des pages de mon agenda. J’ai cherché celui avec qui le lendemain je pouvais le faire. Le nom et le téléphone de celui avec qui dès le lendemain j’allais le faire.


Lila :
Et tu l’as fait.
Le lendemain.
Tu l’as fait.


Dahlia :
Avec après dans le miroir de la salle de bain, presque les mêmes traits de visage et la même peau que toi.
Presque.
Je l’avais fait. Mais j’ai connu l’absurde de brûler les étapes.


(…)


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