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+ d'infos sur le texte de Annie Zadek
mise en scène Pierre Meunier

: Annie Zadek / Christophe Perton - Entretien

Si, pour Annie Zadek, le livre - le texte - est primordial, premier, originel, il n'en est pas moins la source de métamorphoses multiples tout aussi nécessaires : théâtre, radio, lectures publiques expérimentales conçues seule ou avec des artistes, sérigraphies, vidéo,... Cette conviction - d'un processus créatif commun aux différentes formes artistiques - fonde une écriture dévolue à l'investigation de ces entre-deux de l'être où rien n'est exclusif de rien, où l'on est à la fois vieux et jeune, homme et femme et vivant et mort, tout et rien, tout et son contraire.
Christophe Perton, qui a mis en scène trois des ses textes - Le Cuisinier de Warburton, La Condition des soies et Douleur au membre fantôme, a choisi de coproduire cette nouvelle création d'Annie Zadek et Pierre Meunier.


L’échange qui suit est extrait d’un livre d’entretiens : Vues de l’esprit, à paraître aux éditions La Passe du Vent.


“La preuve du pudding, c'est qu'on le mange” (F. Engels)


Christophe Perton.- Lorsque je pense à ton “théâtre”, lorsque je lis tes textes, la première question qui me vient à l'esprit c'est de te demander quelle a été la première représentation théâtrale à laquelle tu as assisté ?


Annie Zadek.- C'était à Bâle, une pièce de Tchekhov, Oncle Vania je crois, j'avais huit ou neuf ans. Je n'ai aucun souvenir de la représentation elle-même, d'autant qu'elle était en allemand, mais, par contre, très vif, celui du théâtre, avec ses lustres en cristal, ses escaliers de marbre, le velours rouge des fauteuils, tout ce côté “palais des fées”, le brouhaha retenu mais excité, et mon ravissement d'être là. C'était de l'ordre de l'initiation, de la cérémonie initiatique, c'était angoissant mais heureux. Une angoisse heureuse, si l'on peut dire. Et puis, quelques quinze années plus tard, une mise en scène de Dommage qu'elle soit une putain de John Ford par Stuart Seide, aux antipodes des rutilances bâloises. Des acteurs vêtus de guenilles larvaires, déjà présents sur la “scène”: le long plateau d'une table en bois, alors que je prenais place précautionneusement sur les gradins obscurs, en silence et le coeur battant. Et cependant, tout comme à Bâle, dès avant le début, cette attente, cette projection passionnée, cette certitude que quelque chose va m'arriver par la grâce de ce lieu et de ce qui va s'y passer, le sentiment aussi que je n'en sortirai pas indemne.


C.P.- Dans les souvenirs que tu évoques, il y a deux constantes, d'une part l'importance, dans ta perception de la représentation théâtrale, des moments qui précèdent cette représentation ; et puis aussi, un fort investissement du spectateur dans l'acte théâtral lui-même ?


A.Z.- Tu ne trouves pas que toutes ces actions, tous ces gestes qui précèdent le moment où la représentation commence sont rien moins qu'anodins ? Participent déjà de la représentation ? Il faut décider d'aller voir tel spectacle, réserver sa place, garder sa soirée libre, vers le soir, se préparer, se changer, traverser la ville pour se rendre au théâtre, faire la queue, retirer son billet, s'installer à sa place, lire, ou non, le programme,...
Cette personne qui va, à l'heure et au lieu dits, se transformer en spectateur, a déjà beaucoup investi dans le spectacle avant même le spectacle. Et les deux constantes que tu remarquais n'en font qu'une finalement : l'acte théâtral est un vrai acte, une vraie action sur le monde. Il engage réellement. Non seulement, évidemment, le metteur en scène, les comédiens, les techniciens,... mais aussi le spectateur. Il le modifie (pour ne pas dire qu'il le manipule...).


C.P.- Est-ce que c'est cela qui t'attire dans l'espace théâtral ? Comme écrivain, cette fois, pas comme spectatrice ?


A.Z.- Hé bien, c'est un sacré pouvoir qu'on a là, bien plus directement agissant que celui du seul livre. Dans le théâtre, on convoque vraiment le spectateur, physiquement et spirituellement, et, comme on l'a vu, non seulement pendant la représentation mais longtemps avant et, si tout se passe bien, longtemps après. Il est tendu vers, puis projeté sur, puis imprégné de. Certains livres, certains rêves aussi vous imprègnent mais ils ne vous appellent pas avant, avant qu'on les lise, avant qu'on les rêve...


C.P.- Si on revient un instant sur ton premier souvenir de théâtre, celui de Bâle : les acteurs parlaient donc dans une langue étrangère que tu ne comprenais pas. Est-ce que cet aspect musical d'une langue qu'on ne comprend pas pourrait expliquer l'importance qu'a la prosodie, les sons, les rythmes, dans tes textes ?


A.Z.- Une langue étrangère que je ne comprends pas, ce n'est pas de la musique pour moi, c'est du sens, tout comme une langue que je comprends, mais un sens qui ne me parvient pas, ou partiellement, ou différemment... comme le Prince Charmant reste un prince, même quand il est métamorphosé en crapaud. Et le suisse allemand, comme le yiddish, comme le polonais, n'étaient pas des langues étrangères, même si je ne les comprenais pas. Mes parents se parlaient en yiddish et en polonais, et ils me parlaient en “F.L.E” (Français Langue Etrangère). Ce passage continuel d'une langue à une autre, d'un pays à un autre, ces multiples sonorités, accentuations, rythmes,... c'était cela ma langue maternelle, mon environnement sonore, linguistique, géographique : hybride, incertain, tremblé...


C.P.- Est-ce que ce ne serait pas aussi de cela que provient ce caractère “incertain”, “tremblé” de tes personnages (d'ailleurs à peine des personnages, plutôt des voix) ? Ou bien est-ce le refus, la remise en question, d'une certaine forme de convention de l'écriture théâtrale ?


A.Z.- Plutôt d'une interrogation, d'un questionnement sur la pertinence de ces conventions-là aujourd'hui. D'une réflexion sur la modernité. Sur ma modernité. Mais la seule question qui compte véritablement me semble être : cette batterie formaliste est-elle toujours efficace pour dire ce que j'ai à dire ? Et donc, la seule vraie question, au théâtre comme ailleurs, serait : qu'est-ce que j'ai à dire ; et comment le dire au mieux ?

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