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Accueil de « Que la noce commence »

: Note d'intention

Que la noce commence est le dernier spectacle que je monte en tant que directeur sur la scène de la grande salle du Théâtre de la Commune. J’y retrouve, sur et autour du plateau, toute mon équipe artistique et notamment bon nombre de comédiens, parmi les dix-huit nécessaires au montage du spectacle, qui m’ont accompagné depuis 1995 : La Noce chez les petits bourgeois, Grand-peur et misère du IIIe Reich d’après Brecht ; Pereira prétend d’après le roman de Tabucchi ; Le Piège d’après Emmanuel Bove ; Chère Eléna Sergueïevna de Ludmilla Razoumovskaïa ; Conversations avec ma mère d’après Santiago Carlos Ovés…
À travers ces créations, j’ai tenté de fabriquer, de saison en saison, un répertoire de théâtre populaire dont les enjeux dramaturgiques se situent résolument au croisement de l’Histoire et de la vie intime des personnages. Ce sont la plupart du temps des gens issus du peuple ou d’une modeste classe moyenne, qui se trouvent brutalement confrontés au déroulement implacable d’une Histoire dont ils ne maîtrisent pas – est-ce par faiblesse, inconscience ou lâcheté ? – le cours, mais qu’ils subissent individuellement et collectivement jusqu’au plus profond de leur existence. Le courage leur est nécessaire, souvent ils n’en manquent pas, mais aussi la ruse et l’imagination. Ce sont deux qualités indispensables à leur survie, privés qu’ils sont des moyens qu’emploient les puissants pour asservir le monde.
C’est tout le sens du spectacle Que la noce commence. Ces villageois roumains récalcitrants à l’ordre nouveau de la Russie soviétique sont, par nature et grâce à leur force vitale incroyable, des résistants ; ils le sont de manière insouciante et frondeuse comme des gamins toujours prêts au chahut. Leur humour et leur insolence sont les seules armes qu’ils possèdent face à la brutalité omniprésente et invisible de l’occupant. Mais pour échapper à l’oppression et en contourner la dure réalité, il leur faut encore faire appel à leur imaginaire en créant une fiction qui leur permette d’être fidèles à la conduite de leur existence.
Que la noce commence, malgré son dénouement tragique, est une comédie ; les personnages nous séduisent par leur truculence, leur drôlerie, leur force d’invention, nous en sommes solidaires ; avec eux, nous rions de l’absurde tentative de domestiquer les forces de la nature en « éduquant » les cancres de l’Histoire, nous admirons leur imagination, nous pleurons leur prévisible défaite.
Au coeur de la comédie politique se cache un sens profond qui m’incite à faire de ce projet le signe de ma démarche artistique depuis le Théâtre de l’Aquarium jusqu’à La Commune d’Aubervilliers : Que la noce commence est un hommage au théâtre. Comme ces acteurs italiens dont on dit qu’ils ont inventé mime et pantomime pour contourner les contraintes d’une censure de plus en plus rigoureuse et continuer à « parler » quand même sur le tréteau des places publiques, les villageois roumains, réduits au silence par l’oppresseur, réinventent un vocabulaire gestuel pour « parler » leur noce ; résistants et poètes, ils sont le théâtre populaire, tour à tour tonitruant, farceur, silencieux et inventif : vainqueur par imagination, vaincu par la bêtise. Comédiens et gens du peuple sont ces « gens de peu », infiniment petits et fragiles, infiniment grands et forts, de cette force inattendue toujours réinventée et imprévisible, que craignent tant les puissants parce qu’elle contient en elle le germe de la révolte.

Didier Bezace

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