theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Quartier lointain »

Quartier lointain

+ d'infos sur l'adaptation de Dorian Rossel ,
mise en scène Dorian Rossel

: Quand la BD entre en scène

entretien avec Dorian Rossel & Carine Corajoud - par Arielle Meyer MacLeod

Dorian Rossel crée des spectacles qui s'écrivent sur scène et n'empruntent pas au répertoire théâtral.
Pour ce premier opus dans l'institution, il a choisi de puiser son inspiration dans une bande dessinée, Quartier lointain, du japonais Jirô Taniguchi.
L'argument est simple et fantastique à la fois. Poussé par une volonté qu'il ne domine pas, un homme de 48 ans, marié et père de famille, se retrouve dans sa ville natale sans vraiment l'avoir voulu. Et se trouve projeté 34 ans plus tôt, réincarné dans son corps d'adolescent, amené à revivre les événements de son passé tout en gardant sa conscience d'homme mûr: un voyage dans le temps en forme d'introspection.
Rencontre avec le metteur en scène et sa dramaturge, Carine Corajoud.


ARIELLE MEYER MACLEOD. Est-ce que votre mode de travail relève de la création collective?


DORIAN ROSSEL. Je viens de là. Ce qui m'intéresse c'est de voir comment à partir de deux idées en naît une troisième. Mais je me suis rendu compte que tout discuter peut aussi alourdir le processus, raison pour laquelle j'ai commencé à créer des spectacles sous mon nom. Aujourd'hui mon travail n'est donc plus tout à fait de l'ordre de la création collective, mais ne s'apparente pas non plus à une forme traditionnelle de mise en scène. Un peu comme la danse contemporaine, discipline dans laquelle le langage chorégraphique s'invente souvent à partir de la spécificité de chaque corps, et qui intègre de ce fait une dimension collective d'échange.


AMM. Comment se construisent alors vos spectacles ?


DR. Ils s'élaborent principalement en répétition, en observant ce qui émerge du plateau. Nous cherchons des pistes en amont mais ne décidons rien avant le début des répétitions. Le travail est empirique. Je ne veux pas concevoir un spectacle dans ma tête et demander aux comédiens d'être des interprètes de ma vision: lorsque quelqu'un propose une idée singulière et pertinente, on cherche comment la consolider et la développer. Je tente de faire coexister une multiplicité de sens.


CC. Le centre de notre réflexion porte sur le rapport entre la scène et la salle.


DR. Oui, nous sommes plusieurs dans ma génération à faire du rapport avec le spectateur le point essentiel de notre travail. Nous voulons créer une complicité avec ce spectateur, construire avec lui, chercher un rapport direct d'intimité, d'implication et de réflexion. Plutôt qu’il ne s’oublie dans l'illusion théâtrale, je préfère essayer de faire qu’il se retrouve. Dans mes spectacles, les acteurs n'arrêtent jamais d'être eux-mêmes: ils ne font que donner des signes pour représenter un personnage. On se situe vraiment avec l'ici et maintenant de la représentation.


AMM. Qu'est-ce qui vous a séduit dans cette bande dessinée de Taniguchi?


DR. Il y a une profonde délicatesse dans cette écriture. J'ai été très touché par sa façon de faire surgir des sensations et des émotions dans un quotidien apparemment banal; il est en cela un héritier de Tchekhov et du cinéaste Ozu. Eux aussi possèdent cet art d’exprimer avec une extrême simplicité des problématiques étonnamment complexes.


AMM. Comment allez-vous transposer à la scène ce matériau de la bande dessinée?


CC. Nous ne voulons pas reproduire fidèlement la partition dessinée. Mais en même temps le dessin prend en charge beaucoup d'émotions et crée un rythme par ses silences et les vides laissés entre les cases. Il faut donc que nous arrivions à transposer ce qu'offre le dessin dans une forme théâtrale, à travers la scénographie et le jeu.


AMM. Il y a une dimension très intérieure dans ce récit…


CC. Oui, il s'agit en fait d'un monologue intérieur, ce qui lui confère une dimension littéraire. Cela implique une intimité très forte avec le lecteur et nous devons nous poser la question de savoir comment faire passer cette intériorité au théâtre.
Notre défi serait de retrouver la simplicité et l'émotion brute qui se dégage de la bande dessinée sans tomber dans l'illustration. Pour cela nous allons sans doute tabler sur une mise à distance qui affiche le théâtre.


AMM. Quartier lointain est aussi une réflexion sur le temps. Le récit procède par un retour en arrière, ce qui à premier abord va à l'encontre de la linéarité du temps théâtral.


CC. Mais le théâtre permet aussi de raconter la simultanéité. Le récit se construit à partir de trois moments distincts: celui où le narrateur raconte, celui de sa vie d'adulte qui se situe en 1998 et celui de son adolescence en 1963. Au théâtre, ces trois moments peuvent coexister – et même dialoguer – si on imagine des espaces qui se chargent de les distinguer.


AMM. Cette histoire bouleversante pose la question de savoir si on peut intervenir sur le cours des événements: est-ce que ce personnage qui revit son passé en ayant le savoir et la conscience de l'homme qu'il est devenu peut influer et modifier la façon dont les événements vont se produire?


CC. Il ne le peut pas, et c'est précisément ce qui est beau. Le retour dans le temps produit une transformation intérieure qui ne modifie pas son passé mais sa vie d'adulte. C'est comme s'il devait refaire tout ce chemin pour arriver vers quelque chose de nouveau.


DR. Le récit procède d'ailleurs par répétitions successives de façon très virtuose. Il avance de manière cyclique, reprenant sans cesse des motifs déjà évoqués en les transformant. Ce que j'aime c'est que cette virtuosité n'est jamais ostentatoire.


AMM. Dorian Rossel, depuis cette année vous êtes artiste associé à la Comédie de Genève. Qu'est-ce que cela représente pour vous?


DR. C'est une opportunité incroyable, une reconnaissance évidente de la singularité de notre démarche. Depuis 12 ans nous faisons du théâtre avec les moyens du bord et nous avons maintenant l'occasion de profiter d'un nouveau système de production et de rencontrer des savoir-faire. Cela dit, le fait que nous passions du théâtre de l'Usine à la Comédie prouve bien que le théâtre alternatif est une source vive de création. Anne Bisang et l'équipe de la Comédie tentent d'ailleurs vraiment de comprendre la spécificité de notre démarche. Tout le monde se révèle curieux de cela. Ce n'est pas du tout l'image que je me faisais de l'institution…

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.