À travers les frustrations et les impuissances avouées de deux couples, cette satire corrosive éclaire avec subtilité le rapport Afrique-Occident. Un miroir sans concession tendu à nos sociétés libérales dans lequel l'homme contemporain apparaît dans toute sa nudité, balloté entre mondialisation et solitude.

Le désastre est annoncé et il sera parfait ! Deux couples de médecins quarantenaires nous ont donné rendez-vous pour assister à leurs retrouvailles. Liz et Frank mènent une vie bourgeoise et cosy dans une grande ville d'Europe ; Karen et Martin sont de retour après six ans passés à exercer dans un dispensaire en Afrique. Le modèle de la réussite sociale occidentale versus la vertu d'un engagement humanitaire modèle. Et la tension est d'emblée palpable. Le terrain, miné. On rit jaune. Frustration, mesquinerie et petites lâchetés conjugales affleurent. Le vernis des conventions se craquelle. Le rire est nerveux, les larmes sont promptes à jaillir, la rage guette... et la conversation a bien du mal à respecter les normes de la bienséance. Surtout lorsque s'invitent à la table deux marionnettes : Peggy Pickit, poupée de plastique, produit d'une société marchande libérale, et Abeni-Annie, poupée de bois sculptée made in tiers-monde. Comme les simulacres d'enfants absentes, réelles ou rêvées, cristallisation des névroses et des impuissances d'un vieux monde qui s'enlise dans ses propres contradictions...

Le metteur en scène Frédéric Poinceau, sensible aux écritures audacieuses et aux formes inventives, a choisi pour la nouvelle création de sa compagnie Les Travailleurs de la Nuit, un texte brillant du prolixe dramaturge allemand Roland Schimmelpfennig. Avec ce « drame occidental », oscillant entre vaudeville grinçant et satire corrosive, il interroge le rapport Afrique-Occident. L'occasion de tendre, sans didactisme, un implacable miroir à nos sociétés démocratiques libérales.