: Sur le théâtre de Lilo Baur
Pour tenter de saisir comment est né son désir de faire du théâtre, Lilo Baur se souvient de son enfance passée dans un petit village catholique d’Argovie, et plus particulièrement de ces moments où, au détour de situations quotidiennes ou lors de rituels, le ludique l’emportait sur le sérieux. Elle raconte.
Théâtralité populaire
Il y avait au temps du jardin d’enfants, des petites pièces de théâtre
dont une avait pour thème la nativité de Jésus. Toutes les petites
filles voulaient jouer Marie tandis que tous les garçons espéraient
se retrouver dans le rôle de Joseph. Il y avait la visite du père
Noël, qui venait accompagné de Knecht Ruprecht (sorte de père
Fouettard allemand, ndlr). Ce dernier disait aux enfants ce qu’ils
avaient fait de mal et punissait les moins sages : il les enfermait
dans un sac de jute, les emportait sur une vingtaine de mètres,
puis les libérait. Lilo Baur n’a jamais été ainsi emmenée. Mais elle
se rappelle que l’un de ses camarades avait vécu comme un traumatisme
cette expérience de l’enfermement. Il y avait le carnaval
qui se fêtait dans la violence, avec dans les rues, des villageois qui
se rassemblaient en gangs et qui se confrontaient : « On se frappait
avec des vessies de cochon. On se cassait des oeufs sur la
tête. On se déguisait pour faire peur. » Il y avait les processions ou
les cortèges, comme ceux qui suivaient les chars funéraires tirés
par des chevaux ornés de parures.
Lilo Baur confie : « Je trouve que derrière toutes ces images qui me reviennent en mémoire, il y a une grande théâtralité. En anglais, il existe le terme playfulness, qui veut dire « humour, jeu, espièglerie. » Enfant, j’ai éprouvé pour les rituels que j’ai connus, de la peur et de l’attirance. En moi, ils ouvraient par leur force un univers et un imaginaire de conte de fées. Petite, avec mes amis, nous inventions aussi beaucoup de jeux collectifs qui étaient en lien étroit avec les histoires qu’on nous racontait. Cet héritage me constitue. Je crois que le théâtre me permet de retrouver cet univers de l’enfance. Je crois du reste être encore une enfant. J’aime les gens qui ont su rester curieux, qui ont toujours envie de connaître, de découvrir et de partager. »
Du collectif, de la simplicité et de l’Europe
Après avoir suivi sa formation à l’École Lecoq à Paris, Lilo Baur a
multiplié les expériences en tant que comédienne en France, en
Angleterre et aux États-Unis, au théâtre aussi bien qu’au cinéma.
Elle a notamment joué sous la direction de Simon McBurney au
sein du Théâtre de Complicité, ainsi que sous celle de Peter Brook,
auprès duquel elle est aussi intervenue en tant que collaboratrice
artistique. Avec le premier, elle découvre les vertus du groupe et
de l’improvisation. Avec le second, elle apprend combien il est important
au théâtre de raconter une histoire et de le faire avec simplicité.
Elle relève avoir éprouvé un sentiment de grande liberté en
travaillant à leurs côtés, parce qu’elle se sentait protégée autant
par chacun d’entre eux que par le collectif. (...)
Un conte de la jalousie
Aujourd’hui, Lilo Baur revient au Conte d’hiver avec une équipe
artistique renouvelée. Elle est fascinée par la pièce pour des raisons
multiples. Il y a d’abord la présence des thèmes de l’amour et
de la jalousie, des sentiments autour desquels se déclinent la vie
et la mort : Léontes est un roi qui, soudainement jaloux, provoque
autour de lui beaucoup de morts. Il y a ensuite la structure insolite
de la pièce dont le genre est difficile à définir : tragédie pour les
trois premiers actes, comédie pour le quatrième. Il y a aussi le surgissement
du surnaturel au cinquième et dernier acte. Il y a encore
l’évocation de la nature, des légendes, des mythes grecs. Il y a
enfin une invitation à « ne pas se laisser détruire par les émotions,
à comprendre autrement quelque chose de soi pour continuer à
vivre autrement. »
Lilo Baur confie qu’elle est restée quelque peu insatisfaite de sa
première mise en scène du Conte d’hiver en raison de certaines
scènes dont elle n’avait pas pu approfondir l’approche ou le traitement
parce qu’elle dirigeait des comédiens grecs dont elle ne
possédait pas pleinement la langue. Pour cette seconde réalisation
de la pièce, s’exprimant en français, elle sait pouvoir épauler
plus valablement et finement ceux qu’elle a réunis autour d’elle.
Elle constate du reste que le travail est bien plus précis que celui
antérieurement réalisé.
De zéro à l’entre-deux
Comme elle aime à le faire pour chacune de ses mises en scène,
Lilo Baur a commencé les répétitions autour de sa nouvelle version
du Conte d’hiver par des improvisations. Au gré des exercices, elle
multiplie et diversifie les sujets ou les situations à partir desquels
improviser tout en variant la distribution. C’est ainsi qu’elle apprend
à connaître les acteurs, qu’elle les encourage à reconsidérer sans
cesse tout de zéro, qu’elle les maintient en état d’éveil. Mais elle
précise : « Moi aussi je suis en éveil. Je leur fais des propositions
et j’ai des idées sur des manières de faire. Je trouve incroyable ce
que les acteurs peuvent m’apporter grâce à leur imaginaire et à la
qualité de leur investissement dans l’exploration des possibles. »
Lilo Baur aime à engager des acteurs qui sont à ses yeux des team
players, c’est-à-dire des acteurs qui ne se fixent pas sur leur seul
rôle, qui ont le sens du collectif et qui veulent ensemble raconter
une histoire. Elle dit aimer « les acteurs qui savent faire rêver ou
vivre ce qu’ils racontent en sachant parler, bouger, changer, se
transformer sans avoir besoin de recourir à toute une machinerie.
»
Pour Lilo Baur, le théâtre est un rituel qu’elle a envie de partager
avec des gens, aussi bien ceux qu’elle connaît que ceux qu’elle
ne connaît pas. Le théâtre permet en fait à la metteuse en scène
de toucher et de vivre pleinement le présent tel que John Berger
l’a défini. Une définition qu’elle expose ainsi : « Quand on inspire,
c’est le futur. Quand on expire, c’est déjà le passé. Le présent se
situe dans l’entre-deux. Le théâtre est cet entre-deux qui permet
de mieux retrouver la vie. »
Propos recueillis par Rita Freda
Extrait du Si n°6, novembre-décembre, magazine du Théâtre
Forum Meyrin et du Théâtre de Carouge-Atelier de Genève
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