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Le Misanthrope

+ d'infos sur le texte de  Molière

: Note d’intention

Deux hommes, au bord du plateau, au seuil du monde civilisé, parlent. Deux hommes comme un seul qui dialoguerait avec lui-même, se combattent et s'accouchent l'un et l'autre d'une parole qui prend rapidement pour chacun des deux des allures de manifeste. L'un prône l'absence totale de compromis, la sincérité absolue jusqu'au chaos, l'autre, un accommodement bienveillant au jeu social pour maintenir un ordre. L'un rêve d'une société sans masques, l'autre appelle cela la jungle. Alceste est radical, Philinte est modéré.


La question n'est pas de savoir qui a tort, qui a raison et si on doit choisir son camp. La première scène du Misanthrope n'est pas la conversation entre deux amis dont l'un défendrait la sincérité et l'autre l'hypocrisie, mais l'exposition d'une question vertigineuse qui les concerne également, qui nous concerne également. La question serait plutôt : est-il possible dans un monde civilisé d'être autre chose que les deux à la fois ?
Le théâtre commence quand Molière invente dans l'esprit d'Alceste une faille déterminante : l'ennemi du genre humain est amoureux fou de celle qui représente, à ses yeux, le meilleur exemple de duplicité. Mais la raison n'est pas ce qui règle l'amour : le Misanthrope est une comédie. Aux pieds de Célimène qui accueille chez elle « l'univers entier », Alceste, qui ne veut que « être unique ou disparaître », pose un ultimatum : « moi ou les autres ». Célimène ne choisit pas. Alceste qui ne voulait pas entrer sur scène, ne veut plus du tout en sortir mais seulement être ici et maintenant, vulnérable, nu, sans masque ni maquillage. Prétendant que les autres font du théâtre et que lui n'en fait pas, il veut parler aux acteurs cachés derrière leur personnage. Sa position intenable, tragi-comique (toujours-là-déjà-parti) déséquilibre le plateau. Tout le monde dérape et Alceste comme les autres.


Dans une oeuvre qui ne cesse d'interroger la complexité humaine à travers de grands caractères obsessionnels, la folie d'Alceste ressemble à celle de ses « frères », Orgon, Jourdain, Arnolphe, Dom Juan, Argan, Harpagon se rêvant le temps d'une pièce demi-dieux, au-dessus du monde et des lois et, au terme d'un voyage initiatique au bout de leur délire, se retrouvant cloués au sol, dans la réalité, faillibles, définitivement humains.

Jean-François Sivadier

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