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Le Metope del Partenone

Roméo Castellucci ( Mise en scène )


: Où la vie s’enfuit au risque de s’effacer...

Une nouvelle fois Romeo Castellucci vient traquer ces moments ténus où la vie s’enfuit au risque de s’effacer. Ces minutes où le regard vacille et fait vaciller celui qui regarde. Cela apparaissait plus qu’en filigrane dans les évocations et disparitions de Schwa- nengesang D744, présenté l’an dernier au Festival d’Automne. Orfeo ed Euridice, de Gluck (Wiener Fest- wochen), puis Orphée et Eurydice, de Berlioz (La Mon- naie de Bruxelles), travaillaient plus profondément dans la durée. Par une caméra subjective, le metteur en scène faisait entrer en direct dans la vision d’Orphée se frayant un chemin vers son Eurydice, une bien réelle jeune femme dans le coma. Le vacillement n’était pas seulement celui de son regard, ni celui du nôtre devant son image, mais entre le réel et la scène. L’un basculait dans l’autre, dans son lieu et dans sa forme, étayant sa puissance fictionnelle et confirmant l’exactitude du mythe grec.


Les six courtes pièces en rafale qui constituent Le Metope del Partenone (Les Métopes du Parthénon) forment six déclinaisons de ces questions. Là aussi, le metteur en scène pratique un tressage entre jeu et performance, réalité et fiction, image et écriture. Six personnages sont constitués en direct, porteurs des stigmates d’effroyables accidents ou de défail- lances aigües : crise cardiaque ou allergique, éven- tration ou amputation, polytraumatismes, brûlures. Nulle partie du corps qui ne soit inscrite au registre de l’horreur. Le pronostic vital des personnages est engagé. Six authentiques équipes d’ambulanciers vont tenter de les ramener à la vie. À travers la pré- cision de leurs gestes et de leurs protocoles d’action, les acteurs paraissent devenir de « vraies » victimes, et les secouristes d’authentiques performeurs. Des experts en maquillage ont fini de grimer les acteurs sur scène, avant de s’éclipser pour les laisser à l’agonie. Chaque touche de fard, chaque liquide épandu, répond par excès à la réplique godardienne « Pas du sang, du rouge ». Laquelle fait écho à la règle castelluccienne : « Le sang doit être rigoureusement, évidemment, faux ». Mais, quoi que nous fassions, le faux sang, mis en situation de théâtre, un moment ou un autre, glisse dans le vrai. Nous oublions le rouge, comme nous oublions la nature des colorants figurant la bile et le vomi. Il en va du sang comme de toute fable, et d’autant mieux qu’elle est connue : nous ne pouvons pas, la réentendant, ne pas la revivre. S’il reste quelque chose de la catharsis, le « faux » sang en est un précipité. Il est le signe le plus tolérable de cet « éros de la mort » souvent évoqué par Castellucci, cette dissolution de la chair, devant laquelle le regard et le corps défaillent.


Le Metope del Partenone nous invite à mettre chaque victime en rapport avec ce dont nous pourrions nous souvenir des frises du Parthénon, à penser les atteintes aux corps dans la perspective de la statuaire grecque, à exposer la fragilité de la chair face à la dureté du marbre, la fugacité de la vie devant la pérennité de l’art, la réalité du quotidien face à la beauté idéale, à songer au temple absent et à sa gloire. Si elles sont « sauvées », les victimes ne le sont pas par la science médicale, mais par leur capacité à résoudre de petites énigmes, clefs et synec- doques de leur propre existence. Ces six « devinettes », comme se plait à les désigner Castellucci, sont cha- cune porteuse, avec sa solution, d’une double résur- rection : celle de la victime et celle du personnage, dans la confirmation qu’il s’agit là d’un acteur, que le « sang » peut s’effacer comme s’il était bien du « rouge », que nous étions au théâtre et que celui qui se relevait pour nous faire face était aussi des nôtres.


Jean-Louis Perrier

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