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: Notes de lecture

Dans les romans de Laurent Mauvignier se joue le drame du silence, de l’incompréhension, des liens défaits ou tus, avec ces voix qui percutent et butent dans des corps trop petits pour le monde qu’ils déploient, avec cette langue qui donne à entendre le monde et son désarroi face aux mots parce que « les mots il ne faut pas toujours les croire, qu’ils ne poussent pas au bout, ne disent pas jusqu’au ventre les vérités qu’on éprouve.»


Après avoir adapté et mis en scène La lettre au père de F. Kafka, et La Splendeur du Portugal d’Antonio Lobo Antunes, je souhaitais adapter Loin d’eux, parce que ce roman mettait en jeu des voix, des corps, mais aussi des enjeux spécifiques, le rapport à la famille, à l’héritage, au secret, aux relations épistolaires, la question du temps et celle de la parole, par un traitement singulier des monologues intérieurs.


Et puis Le lien.
Le lien, ce serait ce désir que les mots échangés soient les complices d’une réconciliation possible.
Un texte dramatique qui me donne l’envie de le mettre en scène ; un « vrai » texte » de théâtre, qui ne correspond pas à l’idée normative qu’on peut s’en faire, puisqu’il s’agit d’un dialogue.
Une envie avec lui de se dégager de l’adaptation, une envie de prendre du champ, de se colleter directement avec cette question du texte dramaturgique.


Il y a « lui », il y a « elle ». Il est parti voilà trente ans, avec l’idéal de la révolution, en tant que photographe de guerre, nouvel héros moderne de la vision, «couvrir » les conflits ; elle est restée dans leur maison, à collecter les lettres et photos qu’il lui a envoyé régulièrement. Elle l’a attendu, simplement.
Elle va mourir (on apprend qu’elle est malade) et lui revient pour elle. Il y a ce lien qu’ils vont tenter de renouer, de retrouver, cet endroit aveugle de l’amour, en regagnant du même coup leur clairvoyance.


Il y a ce lien singulier avec la vie d’Antonio Lobo Antunes, retournant vivre avec sa première épouse dans la maison commune qu’elle n’avait pas quittée, lors de l’annonce de sa maladie incurable, pour vivre avec elle le temps qu’il lui restait.
Le lien se lit aussi dans une relation épistolaire : dans La splendeur du Portugal, les enfants, seuls à Lisbonne, finissaient par ouvrir les lettres de la mère restée en Angola ; dans La lettre au père, se jouait cette lettre jamais envoyée, mais publiée, de Kafka à son père.
Le lien rejoint mon travail sur la question de la photographie, du regard, sur celle de la mémoire, du vertige du temps dans les corps, dans le rapport à l’animalité, à la guerre, qu’elles soient d’Algérie ou d’Angola, guerres de décolonisation tues et honteuses, questionnements divers que je tente d’explorer à l’endroit du plateau.


Le lien, parce qu’on rencontre un texte parfois avec une impression de pure coïncidence, et la sensation que ce texte vous regarde, singulièrement.
Parce qu’on pourrait dire aussi tout bêtement qu’on a simplement envie d’entendre dans la bouche d’un acteur ces mots là, par exemple :
E : - dis-moi, cette odeur de merisier et de cire d’abeille ? la lumière d’automne ? Et cette chaleur humide, la lourdeur des draps presque moites, que t’ont-elles fait ?

Laurence de la Fuente

01 mai 2005

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