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: Note d’intention

Le Dibbouk, la musique et la danse


Prières chantées, psalmodies, cantilations de la Bible, chants et danses de mariage, ou cornes sonnant pendant l'exorcisme, la musique est présente en permanence dans le Dibbouk. Elle joue un très grand rôle dans le glissement qui s'opère dans la pièce entre le réalisme et le fantastique ; elle ouvre les espaces possibles à l'arrivée du surnaturel.


Lors de sa création déjà, au début des années 20, Le Dibbouk a frappé par ces glissements subtils entre la voix parlée et le chant. Le metteur en scène Evgueny Vahktangov avait travaillé avec Joël Engel, le compositeur qui avait accompagné An-ski lors d'un voyage ethnographique qu'il avait mené dans les communautés juives. Il avait composé une musique de scène originale issue en partie de leurs enregistrements dans les villages, et de la culture hassidisme.


Pour cette nouvelle création, nous avons fait appel au compositeur Aurélien Dumont en lui demandant de revisiter la musique juive populaire et religieuse. Nous avons rencontré avec lui la chantre Sofia Falkovitch qui nous a guidés dans la connaissance de la cantilation de l'hébreu biblique et du yiddish.


Aurélien Dumont compose une partition où de légers décalages s'opèrent dans la musique traditionnelle. Ces décalages se font par le choix d'instruments venus d'autres pratiques musicales : le serpent (instrument Renaissance) et la viole de gambe (instrument baroque) jouent aux côtés du cymbalum. Ces instruments sont également détournés de leur pratique habituelle : parfois préparés comme les pianos de John Cage, des tintements ou vibrations donnent une texture étrange à la ligne mélodique.


Un choeur de voix enregistrées vient se mêler au chant des comédiens et du chanteur lyrique Paul- Alexandre Dubois, doublant ainsi la présence des comédiens d'une présence invisible.


La musique s'élabore dans un aller-retour entre composition à la table et plateau ; Aurélien Dumont transmet sa musique principalement oralement, afin que s'invente une tradition propre à la troupe, venant dialoguer sans vouloir l'imiter, les traditions entendues par An-ski lors de ses voyages.


Il en est de même pour les chorégraphies de Gudrun Skamletz, en partie construites sur les danses traditionnelles de fête et de mariage juifs, et en partie issue de l'écoute des musiques d'Aurélien Dumont et de ce qui s'invente au plateau, dans la distance qui nous sépare de ce lieux et ces temps revisités et réinventés au présent.


Une pièce, quatre langues


Comme pour la musique, le rapport de l’histoire du Dibbouk aux langues qui la portèrent est très signifiant. La première version connue est un texte russe déposé à la censure en 1915. On pense que c'est lors de sa rencontre avec Constantin Stanislavski qu'An-ski décida de traduire la pièce en yiddish, pour faire entendre la langue des habitants de la communauté qu'il peignait, et donner à l'action encore plus d'émotion et de vérité . C’est ainsi qu’elle fut travaillée dans l’un des studios annexes que dirigeait Stanislavski, dans ce projet avorté de mise en scène qu'il avait confié à un de ses élèves. Créée en Pologne en yiddish cinq semaines après la mort de l'auteur, la pièce, qui avait également traduite en hébreu, langue alors sans État, fut jouée dans cette langue à Moscou en 1921, dans une mise en scène de Vahktangov. Seule une des actrices de de la troupe qui deviendra la troupe Habima et ira s’installer en Israël, connaissait l'hébreu et l'avait transmis aux autres acteurs ; les spectateurs russes ne le comprenaient pas non plus. Le metteur en scène faisait confiance à la force évocatrice des sonorités de la langue et au jeu corporel stylisé, frôlant et se mêlant à la danse, pour faire comprendre les situations.


Notre Dibbouk sera présenté dans une nouvelle traduction de la version russe jusqu'ici inaccessible en français, complétée par une traduction nouvelle de certains passages en yiddish, car An-ski a beaucoup complété la pièce au contact de Stanislavski et d'autres metteurs en scène. On y entendra également des parties parlées et surtout des chants en russe, en hébreu biblique et en yiddish.


Décors, costumes, lumières: le théâtre comme lieu d’invocation


Les douze comédiens et trois instrumentistes incarneront les trente personnages de la pièce. Des trois espaces demandées par An-Ski (la synagogue, la place du village, la maison du rabbi) nous condensons l'action à l'espace du théâtre que des objets fortement symboliques (livres, chandelier, lampe) métamorphosent. Ils sont réunis sur une table qui peut être aussi bien celle de l'étude, du banquet ou de la prière. Un faux mur de fond construit permet par deux ouvertures (l'une en longueur, l'autre légèrement sur-élevée) des jeux d'apparition et de disparitions rapides, ainsi qu'un jeu de transparence à la lumière donnant l'impression, à la fin, que le théâtre se fissure lors du retour du fantôme de Khânan. Les costumes seront eux aussi dans ce jeu d'évocation et de glissement entre deux réalités : on suit l'acteur dans son chemin vers le personnage, dont une coiffe, un châle, change la silhouette et le fait glisser dans la fiction. Le passage vers le fantastique est très subtil dans la pièce : il n'est pas porté par de grands effets scéniques, mais par la force du jeu des acteurs. Un doute doit subsister jusqu'au bout sur le personnage de Léa : s'agit-il d'une véritable possession ou d'une manière de dire non à l'ordre établi ? Les forces invisibles deviennent visibles avant tout dans les yeux et les corps des acteurs. Les modifications de lumière, les troubles que peuvent engendrer certaines vibrations, des jeux sur des intensités basses contrastant avec un plein feux quasi clinique, participent également de cette invocation du surnaturel par un minimum de moyens.

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