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: Entretien avec Catherine Germain et François Cervantes

Propos recueillis par Stéphane Bouquet - février 2012

Pourquoi avoir choisi de travailler sur le récit de la Genèse ?


Catherine Germain : C'est François qui a choisi la Genèse comme sujet de la conférence. Moi, je voulais faire vivre en solitaire cette créature qu'est Arletti, ce clown que j'avais fait naître dans un autre spectacle de François, La Curiosité des anges, un duo avec Dominique Chevallier. Alors, j'avais pensé à une conférence, comme lieu où le clown peut être amené à endosser un rôle, à "avoir une place" devant un auditoire. J'avais des envies de sujets scientifiques compliqués mais ils restaient anecdotiques.


François Cervantes : La Genèse s'est imposée à moi comme une évidence, une fois que nous savions que Catherine désirait créer un solo, et qu'elle voulait partir de son désir de faire une conférence. C'était la première fois qu’Arletti quittait son espace de verdure pour aller à la rencontre des hommes, cette conférence était aussi le lieu d'une tentative d'incarnation, le lieu où elle tenterait de devenir femme.


Catherine Germain : Il fallait que le sujet rejoigne ce qu'est profondément un clown. Il est un être qui a le désir de s'incarner et qui en cherchant à exister devant le public est comme un monde en gestation, d'un chaos initial à une métamorphose humaine. Il "se met à l'oeuvre" au sens propre !


La représentation de la Genèse est souvent que la parole vient en premier. C'est le fameux Fiat Lux. Vous faites commencer le spectacle avec le corps, est-ce un choix qui porte un sens fort ? une mise en avant du corps ?


François Cervantes : La parole se prépare avant de devenir parole, la parole fait son chemin dans le corps, comme dans un iceberg. Il y a une grande partie immergée invisible qui soutient la parole que l'on entend.


Catherine Germain : Avant la parole, il y a le souffle. La respiration. Le vide dans lequel prend pied cette parole. D'où elle jaillit. Le clown, c'est l'essence de l'être. La diffusion du parfum se fait avant qu'on le nomme.


D'où vient le texte de la conférence ? Comment l'avez-vous écrit ou composé ?


Catherine Germain : Il y a donc le texte de la Genèse dont nous avons choisi une traduction après en avoir lu plusieurs. Nous l'avons gardé intact. Ensuite, les commentaires d'Arletti et l'installation silencieuse du début ont été écrits par François et par moi. Nous écrivions chacun de notre côté et le soir nous nous retrouvions pour voir ce que nous allions garder. C'est en tout cas un spectacle où l'écriture est première. Mais l'écriture du corps aussi est considérée comme première. Arletti était une créature ("un poème" comme dit François) déjà écrite avant de commencer le spectacle, puisque le personnage existait déjà dans un autre spectacle. Le début est écrit comme une partition musicale. Tous les gestes sont inscrits à l’avance. Nous n'avons pas improvisé.


Vous travaillez depuis longtemps avec les techniques du clown ? Pourquoi vous concentrez-vous sur cette technique ?


Catherine Germain : Nous ne nous y concentrons pas. Au contraire, nous laissons se diluer toujours davantage cette découverte pour que la présence du clown ne soit pas limitée à une technique théâtrale mais plutôt à une question plus large sur la position de l'acteur qui, en découvrant son essence, sa nature poétique, ouvre sa compréhension du plateau et de la relation qu'il a au public. Et cela continue à agir pour un acteur, quelque soit la forme qu'il prend et quelque soit l'oeuvre qu'il est amené à interpréter.


François Cervantes : Le clown n'est pas une technique, le clown est un être sans technique, le clown révèle de façon transparente la confrontation entre le texte et le corps. Avec le clown le plateau n'est pas un lieu de représentation, mais un lieu de rencontre et d'action.


Avez-vous de grands ancêtres, de grands inspirateurs ?


Catherine Germain : Pour le clown, je n'avais pas de référence avant de découvrir Arletti. Depuis, j'ai eu l'occasion de replonger dans des archives sur l'Histoire du clown et je suis très impressionnée par Grock, Charlie Rivel, et le clown Albert du trio des Fratellini.


Il est assez peu courant que les clowns soient des femmes. Pensez-vous que le "genre" (sexuel) du clown puisse avoir des implications sur la façon d'être un clown ?


Catherine Germain : Je n'aime pas cette question. Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce qu'elle est récurrente depuis quelques années où l'on voit de plus en plus de clowns en spectacle. Et qu'effectivement des femmes s'y intéressent. Pendant un temps, j'avais le sentiment qu'on était là dans un endroit où il n'y avait pas de sexe. Où l'être était tellement en question, qu'il était autant végétal que pictural, musical, animal qu'humain. En tout cas qu'il était indéfini, pour ne pas dire infini... Qu'il était important d’être une question, plutôt qu'une réponse. À la naissance d'un clown, on ne voit pas encore son sexe. Et puis le temps a passé. Moi aussi j'ai changé. Et je peux dire qu'Arletti est d'une étoffe féminine. Mais je m'attache en scène à toujours revenir à cet état premier du monde, au moment où on ne sait pas encore qui est qui, et c'est là où la relation avec le public prend sa source.


Les clowns sont très souvent voués au solo. Pourquoi, selon vous, cette solitude du clown ?


Catherine Germain : Un clown goûte la peur du vide et le vertige de la relation à l'autre. Cela a à voir avec la solitude. C'est de l'endroit où l'on est profondément au dedans de soi, dans son étrangeté première au monde qu'on rencontre les autres, étrangers eux aussi. Il faut se mettre au bord de cette falaise-là pour mieux sauter. Rencontrer le public, c'est aussi rencontrer ses démons et ses obsessions. C'est un mélange de peur et de désir. C'est une connaissance profonde de soi et de l'autre en soi.


François Cervantes : Pour un clown, le solo est une colonne vertébrale, un diapason, il rend plus facile la participation à des spectacles avec d'autres. C'est une ouverture au monde, pas un enfermement.

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