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La Tragédie comique


: Fabrication d’un rêve

« Et si vous n’étiez pas clown que seriez-vous ?
Mais si je n’étais pas clown, je ne serais pas »
Pierre Etaix


Le premier jour de répétition, quand Yves est arrivé avec son personnage sur la scène, je les ai regardés, effarée et émerveillée.
Yves était là, affublé d’un costume de bric et de broc, fait d’un pantalon de gymnastique et d’une jupe de gitane à paillettes surmontés d’une veste chinoise volée à ma garde-robe.
Sur le nez, il avait un nez de farceur en caoutchouc mou.
Il improvisait des fureurs, des insolences et des rires, cela n’avait ni queue ni tête, mais c’était déjà plein de rêves et de poésies.
On s’est mis au travail. Pardi, quelle aventure. Yves est un cheval fou, il part au galop sans selle ni rennes et monte aux étoiles du théâtre alors qu’on est à peine assis dans la salle encore éclairée et qu’on n’a pas encore enlevé son manteau.
C’est vrai, on arrivait dans le théâtre vide, il suffisait de lui allumer un projecteur sur la scène et le voilà qui s’envolait, papillon pathétique et farceur, impatient de quitter le monde. Hé Yves reviens ! Tu es déjà sur la lune et je suis encore par terre.


Le travail de la Tragédie Comique fut un bricolage minutieux, une construction précise et laborieuse qui devait devenir pour Yves une cage invisible aux barrières infranchissables mais insoupçonnées… car si Yves est un comédien-geyser, en état constant d’ébullitions et de feux d’artifice, il est rétif, comme les idéalistes, aux limites et aux frontières.
Dans le fatras de ses inspirations et de ses fougues indomptables, il a fallu trier, jeter, garder, examiner à la loupe, ciseler, reprendre ce qui avait été écarté un jour passé, pour le réinjecter le jour suivant.
Mais curieusement on a presque tout gardé : sans parler des grandes émotions et des intuitions bienvenues sur la scène, sans parler des textes écrits par Yves à la table, on a gardé un balai trouvé par hasard en coulisse pour frapper les trois coups, des pages en vrac et volantes, empilées pour des essais de structure dans une farde à portée d’oeil et de mains, un petit coussin brodé et aussi des trous de mémoire…
Car surtout ce qu’on a voulu garder au cours des répétitions, c’est cette impression de chaos qui fait tellement penser à la liberté.


Il a fallu qu’à deux, complices, on invente une partition si solide que toutes variations nées de l’instant et de l’instinct puisse s’y déployer et s’y épanouir sans faire crouler l’édifice patiemment élaboré tel un casse-tête chinois. Et que, même, les variations les plus imprévisibles puissent devenir si prévisibles pour le comédien qu’elles donnent toujours l’impression d’une apparente improvisation.
Mais ce n’est pas tout.
Il a fallu qu’Erhart Stieffel arrive sur la pointe des pieds et sculpte du bout des doigts un nez de bois au bouffon, tel Gepetto façonnant Pinocchio.
Qu’avec Françoise Colpé il métamorphose le costume informe en celui de nos rêves : un habit qui nous revienne de la nuit des Temps, après avoir traversé par monts et par vaux les siècles et les civilisations.
Qu’à deux, ils créent et fabriquent ce qui n’étaient que des désirs dans nos têtes songeuse : des rideaux rouges frémissants aux vents du Théâtre et des tréteaux de bois déposés, tels une île flottante et magique, sur un immense tapis vert d’eau.
Il a fallu encore que Gaëtan et Pierre Hollemans, l’un et l’autre se succédant à la régie, se coulent dans la peau d’André le régisseur débonnaire soi-disant dépassé mais plus malin qu’un singe d’un spectacle soi-disant improvisé.
Il a fallu tout cela pour que les trois coups aient enfin lieu et qu’Yves bondisse sur scène pour vous faire rire et pleurer, pour vous émouvoir, vous qui êtes venus au théâtre poussés par l’espoir, comme il dit, « de rire de ce qui d’habitude vous fait pleurer »…

Eve Bonfanti

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