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La Chevauchée sur le lac de Constance

+ d'infos sur le texte de Peter Handke traduit par Marie-Louise Audiberti
mise en scène Pierre Maillet

: Note d’intention

La chevauchée sur le lac de Constance est un rêve.
Dans tous les sens du mot.
Une pièce énigmatique, certes. Une oeuvre poétique, surtout.
A l’image de la ballade sur le Cavalier qui traverse le lac de Constance sans s’en rendre compte (c’est à cette histoire que le titre fait allusion). Un magnifique conte, naïf et mélancolique, qui selon moi constitue un éclairage important sur l’ensemble de la pièce : celui du mythe et de la légende.


Cinq personnages se retrouvent dans un décor qui « doit être un décor », de théâtre ou de cinéma peu importe. Décor assumé puisque ces cinq personnages sont des acteurs.
Pour les désigner, Handke s’inspire de figures importantes du cinéma allemand. Des mythes également, de grandes vedettes du muet, tous plus ou moins ébranlés par l’arrivée du cinéma parlant, et surtout du nazisme. C’est donc aussi une pièce sur le langage, (thématique primordiale dans l’oeuvre de Handke) et une magnifique transposition dans l’univers du muet : dichotomie évidente entre le corps (l’image) et la tête (la parole). Toutefois, Handke tient beaucoup à la notion d’acteurs individus. Et même s’il dit à leur sujet « On peut les reconnaître si l’on sait que ce sont eux », ce ne sont pas véritablement ces acteurs-là ni leur histoire qui est mise en jeu dans La chevauchée… ils agissent plutôt comme référents, miroirs, et permettent de situer la pièce à l’endroit de la mémoire, de l’illusion, encore une fois du mythe.


En 1974, La chevauchée sur le lac de Constance est créée à Paris dans une mise en scène de Claude Régy. Les grandes figures du cinéma allemand deviennent celles du théâtre et surtout du cinéma français des années 70. Emil Jannings, Heinrich George, Erich Von Stroheim, Elisabeth Bergner et Henny Porten deviennent respectivement Michael Lonsdale, Gérard Depardieu, Sami Frey, Delphine Seyrig et Jeanne Moreau. Comme leurs prédécesseurs, ces cinq-là jouent souvent ensemble, notamment chez Bunuel ou Duras. Le spectacle devient mythique, moins par le scandale qu’il suscite à l’époque, que par l’équipe qu’il réunit, et l’audace dont il fait preuve. 1974, c’est aussi l’année de La grande bouffe, India Song se prépare, Pasolini prépare Salo, Le dernier tango n’est pas loin, Fassbinder en est déjà à son vingtième film et Bunuel sort Le fantôme de la liberté


Aujourd’hui, presque 35 ans après, l’envie de monter La chevauchée… avec les acteurs des Lucioles après Le poids du monde déjà de Handke, la trilogie Fassbinder et surtout le projet avorté de l’adaptation de Théorème de Pasolini (refus de droits), s’inscrit pour moi dans une continuité de travail sur les rapports du théâtre avec le cinéma, et sur les grandes oeuvres des années 70.


Quand Peter Handke s’empare du mythe d’une époque révolue (le cinéma muet) c’est pour mieux questionner les difficultés relationnelles du moment en n’oubliant pas ce qui nous constitue, la « mémoire vive ». Car le texte de Handke est tout sauf nostalgique ; il est innocent, naïf, apparemment absurde, drôle, surtout drôle et pour finir très émouvant, à l’image de son amour pour les acteurs. Ce peuple, dit-il, qui est le pivot de son écriture théâtrale.


On peut les reconnaître si l’on sait que ce sont eux, c’est avec cette phrase qui s’applique à ces acteurs (Lonsdale, Depardieu, Frey, Seyrig, Moreau, Jannings, Stroheïm, etc…) mais pourquoi pas à d’autres, tant des acteurs que des films, des livres, des musiques, des personnalités, que nous allons nous emparer à notre tour de ce « classique », qu’aucun d’entre nous n’a vu mais qui fait partie de notre « mémoire collective ». Un « classique » qui à son tour fait partie d’une époque révolue (les années 70). Ce qui enrichit aujourd’hui le texte original de Peter Handke et le rend encore plus vertigineux. Les grands textes sont ceux qui peuvent s’adapter à l’époque dans laquelle on les monte, sans en trahir l’origine ni en cherchant à tout prix à les moderniser. Celui-ci n’en a pas besoin. Monter La chevauchée... aujourd’hui l’inscrit forcément dans une réalité différente. Sans nostalgie aucune ; mais avec humour, plaisir et dérision tant il est certain que de nos jours la perte d’identité ; la solitude ; le rapport au pouvoir ; l’incommunicabilité ; la vulgarisation de l’art, du sexe et des personnes : thèmes incarnés dans la pièce de manière inconsciente, résonnent cruellement aujourd’hui. Et nous font plus que jamais dire, comme à la fin de la pièce : « Qu’a-t-il bien pu se passer ? »

Pierre Maillet

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