: Ce que personne d’autre ne sait
Dans ce texte s’invente un univers vierge parce que se
brouillent continûment les frontières : monter et descendre,
toucher le fond parmi la vase, émerger à la surface – à
peine un quart de visage, le nez seul peut-être.
Respiration – très peu d’air – asphyxie – lutte farouche
pour l’interrompre.
Ce qu’on ressent, c’est le trouble constant de l’absence de
démarcation.
« Pas une mort violente, mais une mort profonde, silencieuse.
»
Une vie profonde, silencieuse. C’est l’écho qu’on entend au
loin.
À demi cadavre, un homme dérive accroché, d’un bras, à un
tronc d’arbre qui flotte à la surface d’un fleuve.
Il dérive vers le sud « comme une conscience blessée. »
Des choses qui viennent d’une autre existence – la sienne
sans doute en un autre temps – se déchaînent sur lui.
À moins qu’il s’agisse des manifestations d’une existence
extérieure à la sienne.
Il s’agit en tout cas d’un déchaînement de forces qui s’opposent
à lui, contraint comme il est de s’abandonner au
courant.
Vesaas laisse de grands espaces de liberté où peuvent jouer
les clés secrètes de notre conscience.
Il écrit un pur poème et nous le ressentons illimité.
Pour l’homme qui navigue – étrange navigation – son reflet
dans l’eau et sa propre place tout contre la mort peuvent
dire – c’est un moment unique – ce que personne d’autre
ne sait. Un cheminement lent au bord de l’inconnaissable.
L’ultime ne finit pas. C’est une ouverture – pour un temps
prolongé – à une libre coexistence de la vie et de la mort.
Une sorte de permanence est donnée au passage du seuil
qui cesse, par là même, d’être fatal et émotionnel.
C’est une aventure du corps et de l’esprit, une expérience
suscitée à l’extrême du vivant. Dans le moment dilaté de sa
rupture.
La dilatation permet l’observation.
Claude Régy
mars 2012
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