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La Mélancolie des Dragons

+ d'infos sur le texte de Philippe Quesne
mise en scène Philippe Quesne

: Entretien avec Philippe Quesne

Pourquoi montrer deux spectacles à Avignon, L’Effet de Serge et La Mélancolie des dragons ?


Philippe Quesne : Le choix de montrer simultanément L’Effet de Serge et La Mélancolie des dragons revient bien entendu à la direction artistique du Festival d’Avignon. Sans vouloir expliquer leur choix à leur place, je pense qu’ils ont voulu ici mettre en avant l’idée du répertoire. C’est en effet sur ce principe que s’est développée depuis cinq ans l’activité de notre compagnie, avec le même groupe de travail. Un répertoire composé de pièces qui se construisent les unes après les autres, les unes à partir des autres même pour être plus précis. Ainsi, La Mélancolie des Dragons s’ouvrira sur la dernière scène de L’Effet de Serge, soit “un groupe d’hommes invisibles dont on ne voit que les cheveux s’agitant sur une petite musique dans une lumière rouge” tout comme L’Effet de Serge s’ouvre sur la dernière image de D’après Nature, un cosmonaute. On pourrait presque parler d’un effet de dominos, dont certains spectateurs fidèles reconnaissent les règles.


Comment définir “l’ambiance” de ces deux pièces ?


Je ne sais pas si nous pouvons parler d’une “ambiance”. Si je devais essayer de décrire aujourd’hui l’atmosphère qui se dégage du plateau, je parlerais de corps cherchant quelque chose sur une scène. Cette indétermination m’intéresse. Des corps en attente, des corps qui formeraient un microcosme humain en train de “vivre” dans ce que j’appelle un “espace vivarium”. Dans L’Effet de Serge que nous avons créé cet hiver à la Ménagerie de Verre, des comédiens sont là, dans un espace difficile à identifier (appartement ? salle de jeu ? garage aménagé ? atelier ?) à mi-chemin entre espace privé et espace public. Les comédiens déambulent, comme s’ils étaient chez eux, dans leur appartement, qui est aussi un lieu de travail. Ils s’observent, tentent des choses, interrogent ce qui fait spectacle. C’est précisément cette réalité que l’on travaille.


La Mélancolie des dragons, drôle de titre…


Pour chaque projet, l’écriture commence en considérant le titre du spectacle comme un champ de recherches et d’expérimentations. Aujourd’hui, La Mélancolie des dragons : deux mots associés qui m’ouvrent un champ de possibles. Deux thèmes qui ont très largement hanté l’histoire de l’art, la littérature et la musique. Le créateur mélancolique est devenu le cliché occidental et romantique par excellence, comme en état de spleen face au monde qui avance, face à la difficulté de le comprendre et de s’en saisir. J’ai commencé le travail en pensant à cette phrase de Starobinski : “L’attitude mélancolique ne peut-elle pas aussi s’entendre comme une mise à distance de la conscience face au désenchantement du monde ?”
Concrètement, le projet s’est nourri ensuite de différentes circonstances : une tournée de L’Effet de Serge en Islande dans des paysages enneigés, nos répétitions sur le terrain des anciens studios de Georges Méliès à Montreuil, des repérages dans un dépôt de mobile home en banlieue, et le fait de créer le spectacle à Vienne en Autriche…


Et les “dragons” ?


Je voulais interroger la figure du monstre, mais plutôt sous forme de questions : Où sont les monstres aujourd’hui ? Quelles sont leurs apparences ? Font-ils peur ? Avons-nous besoin d’eux ? Le dragon est une créature aux représentations multiples. Il est présent dans la plupart des mythes de création du monde, il accompagne l’homme dans toutes ses aventures et ses quêtes, il traverse les époques de Saint-Georges à Godzilla.


Et le lien entre les deux ?


On pourrait dire que la pensée mélancolique peut parfois engendrer des monstres. C’est explicite par exemple dans le tableau de Goya “Le rêve de la raison produit des monstres”. On y voit un homme assoupi, des monstres semblent surgir de ses pensées. C’est sous-jacent dans la gravure de Dürer, Melancolia. Un corps songe, rêve, absorbé dans ses pensées. Les projections de son esprit sont disposées autour de lui, comme des éléments qu’il ne parvient pas à contenir dans son esprit : l’animal, la religion, les objets de la connaissance et de la création. Tout est là, placé autour du corps mélancolique. C’est de cette manière que je conçois le dispositif scénique dans lequel les acteurs évoluent et tentent de résoudre des questions qu’ils se posent. Je pense souvent à Beckett, celui du Dépeupleur, avec la fascination entomologique pour la vie qui grouille et s’organise à partir de rien, ou encore La Vie des termites de Maeterlinck, un texte que j’aime beaucoup.


Le chien Hermès est toujours dans le spectacle ?


Oui, il est là, avec le même groupe d’acteurs, réunis depuis près de cinq ans pour mon premier spectacle La Démangeaison des ailes. On peut dire que tous sont maintenant devenus des “personnages”. J’aime les retrouver d’un spectacle à l’autre.
On vieillit ensemble, cela fait partie du jeu. J’aime aussi reprendre et recycler des éléments de scénographie. Dans L’Effet de Serge et La Mélancolie des dragons, on retrouve ainsi une machine à fumée, des branchages, une voiture, une baie vitrée, etc.


Pourquoi y a-t-il tant de musiques dans vos spectacles ?


La partition sonore me donne les principaux repères. Je ne nourris pas les acteurs d’indications psychologiques mais musicales. Les assemblages se font par les sons et les associations musicales. Il n’y a jamais de manuscrit avant de commencer les répétitions, même si je lis des textes pour moi. Par contre, il existe des morceaux de musique, des chansons. Cette fois, pour La Mélancolie des dragons, ce sont des musiques du Moyen-Âge et du hard rock…


Comment travaillez-vous avec les acteurs ?


On passe du temps ensemble, on voit des expositions, des films, on écoute de la musique… Certains participent à la construction du dispositif scénique. Répéter un spectacle, c’est surtout s’autoriser à essayer des choses. On travaille à partir de matériaux hétéroclites puisés dans la littérature, les sciences humaines, les arts plastiques, le cinéma, la bande dessinée.
Le spectacle se fait à partir de notations, de références, d’emprunts au vocabulaire gestuel et verbal des acteurs. C’est une composition par suggestions. La fable se dessine peu à peu.


Propos recueillis par Antoine de Baecque en février 2008

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