: Entretien avec Toshiki Okada
Comment abordez-vous l’écriture d’un nouveau texte, et à quel moment le travail de plateau – avec notamment les acteurs et danseurs de chelfitsch – entre-t-il en jeu ?
Toshiki Okada : Lorsque j’écris un texte, je ne pense pas au travail de plateau. C’est seulement lorsque j’entre dans la salle de répétition que je commence à prendre cela en considération. Je n’ai aucune idée préconçue concernant la manière dont les acteurs doivent utiliser leur corps avant qu’ils ne commencent à essayer de les mouvoir durant les répétitions: à mesure que celles-ci avancent, les idées me viennent concernant le déplacement des acteurs.
En général, le processus d’écriture est donc distinct de la mise en scène. Mais en même temps, lorsque j’écris un texte, j’essaie de le faire d’une façon qui puisse influer, d’une
manière ou d’une autre, sur les corps
des acteurs.
Quel a été votre point de départ pour Five Days In March – comment en êtes-vous venu à imbriquer l’histoire des premiers jours de la guerre en Irak et celle de ces personnages qui se rencontrent dans un Love hotel ?
Toshiki Okada : Quelques jours avant le déclenchement de la guerre en Irak, j’ai effectivement vu un spectacle dans un club de musique de Tokyo – même si après, je suis rentré directement à la maison, sans m’arrêter dans un Love hotel. Cette expérience m’a inspiré. Il y avait quelque chose dans ce spectacle, une qualité singulière, qui par essence allait contre l’idée de la guerre. J’ai décrit en détail l’atmosphère de ce spectacle dans le roman Five Days in March. J’avais besoin de préciser par écrit ce que j’avais ressenti pendant ce spectacle et, au même moment, au début des bombardements en Irak. Je ne me rappelle pas précisément comment j’en suis arrivé à l’histoire de ce garçon et de cette fille. Cela a dû se faire spontanément. Tout ce que je peux dire, c’est que ce qui leur arrive dans la pièce est une alternative à ce qui m’est vraiment arrivé dans la réalité. (…)
Vos textes et votre théâtre semblent beaucoup travailler l’idée de « temps suspendu » – et de « temps présent »…
Toshiki Okada : C’est exactement cela. Je crois que l’un des rôles essentiels du théâtre est de permettre au public de faire l’expérience d’un temps différent de celui qu’ils ressentent dans leur vie quotidienne. Mon intérêt pour cette question du temps est très lié à cette extension du temps qui est à l’oeuvre sur scène. En faire le sujet d’un texte n’est pas suffisant, j’ai besoin de la réaliser sur le plateau.
Quelle était votre but lorsque vous avez fondé chelfitsch ? Vos spectacles se situent souvent à la frontière du théâtre et de la danse : quelle importance et quelle fonction accordez-vous aux corps, et aux mots ?
Toshiki Okada : Tout d’abord,
lorsque j’ai commencé à employer
l’argot japonais dans mes textes,
c’était simplement une idée comme ça.
Plus tard, j’ai compris que c’était un
tournant. Il m’a fallu trouver des
mouvements qui puissent parfaitement
convenir à cette sorte de langage.
Dans ce processus, beaucoup d’idées me
sont venues concernant le corps. Par
exemple, je m’ennuie si les corps des
acteurs se bornent à accompagner les
mots qu’ils disent. Un corps
auxiliaire – qui se contente de
“tracer” la trajectoire des mots – me
semblait “appauvrir” l’expression.
J’ai donc demandé aux acteurs de
séparer leurs corps de leurs discours.
De générer leur mouvement en partant
de ce que j’appelle des “images” ou
des “sensations”, quelque chose qui,
en général, précède les mots lorsque
nous parlons. Et ce que vous voyez,
c’est une solution. Une solution qui
n’est que temporaire : je ne cesse de
travailler avec les acteurs et de
développer leurs mouvements.
Dans mes pièces, je considère les
mouvements des acteurs comme une sorte
de “naturalisme”, non pas au sens
traditionnel du terme mais comme une
extension de celui-ci. Si je fais
“danser” les acteurs, ce n’est pas
délibérément. Ce n’est pas mon
intention. Tout ce que j’ai conscience
de faire, c’est d’essayer de prolonger
les corps des acteurs.
L’une des choses importantes que je
demande aux acteurs, c’est de bouger
consciemment sur scène comme s’ils
étaient en train d’improviser, même
s’ils ont en réalité travaillé et
mémorisé les mouvements un millier de
fois. Voilà tout ce que je peux dire
concernant l’importance que j’accorde
aux corps. Quant aux mots, il est
certain que je fais attention à leur
signification, mais plus encore, je
voudrais souligner ici le fait que le
discours agit sur le corps du
locuteur. Encore une fois, j’ai
toujours cette puissance à l’esprit
lorsque j’écris le texte
d’une pièce. Le discours peut
déclencher des mouvements inattendus.
Vous disiez que l’utilisation de l’argot a marqué pour vous un tournant : dans quel sens – et comment cherchez-vous à rendre cette dimension de votre écriture accessible à un public non japonais ?
Toshiki Okada : Mes pièces de
théâtre sont effectivement écrites
dans cet argot japonais que nous
parlons aujourd’hui dans la région de
Tokyo. Certaines personnes –
appartenant, en général, aux
générations antérieures – reprochent à
ce langage des jeunes Japonais sa
“pauvreté”. En rébellion contre cela,
mon intention a donc été de créer une
pièce de théâtre “riche” à partir de
ce qu’ils stigmatisent comme un
langage “pauvre”, de leur montrer la
complexité et la sincérité qui y sont
en réalité à l’oeuvre.
C’est un défi que d’arriver à
transmettre tout ce qui se passe à un
public non japonais. Mais je suis
confiant, d’autant plus que
l’expérience d’avoir joué devant
différents publics ne comprenant pas
le japonais m’a montré qu’il pouvait
tout de même s’établir une relation
entre eux et mon travail, et que le
seul mouvement des acteurs suffisait à
leur faire éprouver le langage qui est
parlé sur scène. Même ceux qui ne
comprennent pas le japonais peuvent
voir que la force des spectacles ne
tient pas seulement au langage, mais
également dans la relation qui y est
établie entre le langage et le corps.
À chaque fois que nous avons été en
mesure de présenter le spectacle
correctement – c’est-à-dire,
d’articuler la relation (la distance
autant que la proximité) entre le
langage et le corps à travers le
spectacle –, le public s’est montré
captivé par ce que nous faisions. Il
est fascinant de constater combien la
réaction du public a toujours été
étroitement corrélée à la réussite de
ce que nous faisions sur scène. Pour
autant que je puisse en juger, c’est
comme si la barrière de la langue
n’existait pas
réellement.
Propos recueillis par David Sanson
pour le Festival d’Automne à Paris
Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné,
Je me connecte
–
Voir un exemple
–
Je m'abonne
Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.