: La Pièce
En entendant à la radio que les restaurants du coeur étaient submergés de demandes - trente à quarante pour cent de plus dans certaines villes sinistrées -, mon sang n’a fait qu’un tour. Je n’ai pas d’autre arme que la tribune du théâtre et je veux répondre à une telle injustice par un éclat de rire vengeur. En 1974 devant la misère et la faim, Dario Fo a réagi en écrivant une virulente comédie, Faut pas payer ! (Non si paga! Non si paga!) que j’ai envie de reprendre aujourd’hui, telle quelle.
Les prix ne cessent de grimper, une centaine de femmes d’une banlieue
ouvrière ont envahi un supermarché, raflé des produits alimentaires sans
passer par la caisse. Très vite, la police les poursuit jusque dans les
escaliers des grands immeubles. Pour échapper à la perquisition mais
surtout pour éviter d’avouer la vérité à son mari Giovanni, Antonia cache son
butin sous le lit. Elle dissimule aussi un énorme sac de provisions sous le
manteau de Margherita, sa jeune voisine. Giovanni puis les policiers croient
aussitôt à une grossesse avec risque d’accouchement prématuré !...
Lancé sur une telle piste, Dario Fo la poursuit jusqu’au délire. Il sait
transfigurer le trivial, retourner le réel, comme on retourne une veste, pour
en montrer la doublure, les coutures, l’envers grotesque.
Artiste militant, Fo se sert du théâtre pour débattre. Il fait entendre, d’une
voix claire et perchée, la parole de ceux qui n’ont que le droit de se taire.
Les luttes sociales - et leurs contradictions - traversent son oeuvre. On
pourra donc aujourd’hui percevoir un écho des aspirations de ceux qui
luttaient pour un monde plus juste durant les « années de plomb » en Italie.
Il me fait particulièrement plaisir de saluer d’un grand coup de chapeau
l’héritier de l’esprit, de la technique des jongleurs du Moyen-Age ou des
zanni de la Commedia dell’Arte, le successeur d’Eduardo de Filippo et de
Toto. Son rire jubilatoire, son imagination de conteur fantastique, son
désir de libération font de Dario Fo un des auteurs les plus marquants de
notre temps. Le Prix Nobel de Littérature ne l’a pas assagi pour autant. Avec
Franca Rame, sa femme, auteur et comédienne, il continue à parcourir les
réseaux militants, à travers l’Italie, pour y représenter sa dernière comédie,
Le Monstre bicéphale, une extravagance où l’on voit Berlusconi se faire
greffer le cerveau de Poutine…
Jacques Nichet
01 mai 2004
Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné,
Je me connecte
–
Voir un exemple
–
Je m'abonne
Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.