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Face à la mère

mise en scène Jean-René Lemoine

: Présentation

Nous avons ouvert les portes-persiennes et la lumière a envahi le salon. C’était la douce lumière du matin qui éclairait l’acajou des meubles et se posait en oblique sur les volutes chamarrées du carrelage.


Vers la lumière


Écrire, c’est voir le jour, que le soleil ne fasse plus d’ombre. La page est blanche au zénith. Il faut donc être voyant. Certains l’oublient, d’autres s’en souviennent. Face à la mère est l’un de ces textes de voyance. Un fils parle à sa mère ; ils sont plusieurs narrateurs, dans une même langue, à raconter leur vie. La pièce est polyphonique, mais ça peut être aussi une seule voix à la grâce brûlante, au phrasé classique. Un monologue, un bloc d’irradiation pure, aux facettes de diamant. Tout y est heureux dans cette recherche de la vérité, mais aussi grisaille, déception, bonheur et allégresse, légèreté, lumière tragique, réconciliation, vision hallucinée, dans cette histoire douloureuse. Cette écriture évite tout pathos, malgré le vertige du drame. Il ne s’agit que d’un sablier renversé. Le temps revient sur lui-même. Un fils dit simplement à sa mère, tout ce qu’il a vécu, ses chagrins, ses illuminations, loin des règlements de compte. Elle a disparu. Leur pays d’origine est lointain. Ils ont connu l’exil. Mais rien n’est simple dans cette pièce pourtant limpide, les voix se redoublent, parfois se multiplient, s’interpellent avec une lenteur racinienne. Elles parlent à chœur perdu.
Malgré la disparition de la mère, une parole naît et s’étend comme un transparent voile de deuil. On voit à travers, la jeunesse perdue, les “mots tus” depuis trop longtemps.
Si l’on voulait résumer l’argument, un fils perd sa mère, et de là il lui écrit pour lui dire, au plus intime, combien il l’aimait, c’est triste, trop tard, mais ce n’est pas nihiliste.
Il lui raconte sa vie. La jeunesse n’a pas été facile, parfois terne, il l’attendait avec ferveur. La malle au trésor est aussi une boîte de Pandore. À la fin, il lui pardonne tout, à cette mère intraitable, que ses proches comparaient à une sainte. Il n’y a aucun malheur dans cette mélancolie de la beauté retrouvée, plutôt une félicité de renouer un dialogue qui s’avérait impossible. Elle meurt à Port-au-Prince, dans des conditions atroces, mais là n’est pas le sujet, ce pays d’origine livré au chaos. Il forme une toile de fond sur laquelle se détache la pièce. Jean-René Lemoine plonge profond dans les mystères de la généalogie, dans la communication infinie avec ce qui n’est plus, pour sortir de l’impasse. La lumière est au bout. Pour Baudelaire, la mémoire était : “Le génie, l’enfance retrouvée à volonté” ; pour Proust la “mémoire involontaire” est une épiphanie, une extase qui renverse le cours du temps ; dans Face à la mère, ces deux mémoires se croisent et interfèrent dans un chant lancinant, hypnotique.
Le théâtre n’est pas le lieu, contrairement à l’idée reçue, de la mémoire. Il met au présent ce que l’on se force à oublier, ce que l’on a “répété” des milliers de fois. La structure théâtrale de répétition est à prendre au sens littéral ; reprendre pour un exorcisme, pour s’en délivrer. Jean-René Lemoine construit sa pièce à la manière sérielle des psaumes, d’une prière, les versets reviennent, entêtants, inoubliables. On pense à Pascal et aux leçons de vers ternaires de Claudel. Le roseau filial plie, il a une vibration fragile, mais il ne se brise pas. Face à la mère est une trinité, en trois mouvements. Puis la mère viendra se conjoindre à la consolation ; par-delà la mort. Elle parlera de sa bouche d’ombre. La pièce invente un temps qui n’existait pas “le présent du passé”. Comme si une stase temporelle avait effacé les ruptures pour trouver une concordance des temps, de tous les temps, jusqu’à une forme d’éternité de l’amour. Les voix de “Face à la mer” se parlent dans une cadence musicale, une scansion inexorable vers la délivrance. Elles racontent une enfance. Avec cette sourdine farouche, qui nous mène à nous-mêmes, personne n’en sera quitte, tant Face à la mère touche à notre condition humaine. Le rythme souffle la prose comme des vers antiques, la douceur est violente, on entend le bruit de “l’amer”, la parole se coupe avec une grâce stoïque, retenue, la souffrance se tient à distance, la pudeur et l’impudeur s’épousent ; “la vie, la vie telle quelle”,et rien d’autre.


Yan Ciret




Les larmes étaient les épilogues des rêves de la nuit.


La mère est morte, tragiquement, dans un pays lointain, en proie à la violence et à la déraison. Quelques années après, le fils choisit de la convoquer, par delà la mort, pour lui confier dans cet entretien différé, tout ce qu’il n’a jamais su, jamais osé lui dire. Tout au long de ce chant d’amour, le fils reparcourt le tumulte d’une relation de quarante années. Les images enfouies de la mère ré affleurent et s’effacent tour à tour, se superposant aux clichés des continents, des pays et de villes parcourus ensemble, pour se dissoudre enfin dans le cataclysme de la terre natale. Peut-on, avec les armes impalpables de la poésie, recoudre, retisser le réel ? Peut-on encore, dans l’effroi du monde, inventer des mythologies, tenter, à travers elles, de rester debout devant le désastre, éclairer le chaos, lancer une passerelle vers l’autre plutôt que s’arroger le monopole de la douleur ?
C’est le fragile et téméraire défi de Face à la mère.


Jean-René Lemoine


Les années passèrent, rythmées par mes sporadiques et fugaces visites.
Un jour vous m’avez suggéré de venir plus souvent car vous vous rapprochiez de la mort. Je suis venu un peu plus souvent. À chaque passage, je voyais le pays descendre dans l’abîme.

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