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Bureau national des Allogènes

+ d'infos sur le texte de Stanislas Cotton
mise en scène Vincent Goethals

: Entretien avec Vincent Goethals

« L’histoire de deux frères humains »


Jérôme Sallé : Après Laurent Gaudé et Salina, vous revenez avec Bureau national des Allogènes à un auteur francophone. Comment s’est passée votre rencontre avec cet auteur et ce texte?


Vincent Goethals: Après le langage flamboyant de Salina, il était important pour moi de travailler sur une écriture plus concise. La rencontre avec Stanislas Cotton s’est vraiment faite par le texte. C’est Yannic Mancel qui m’a fait découvrir Bureau national des Allogènes. J’ai bien sûr d’abord été saisi par la langue. Stanislas Cotton est un auteur dont l’écriture est très affirmée, parfois minimaliste, à la fois concrète et poétique.
C’est aussi un auteur qui s’empare de questions politiques. Et il le fait, comme savent le faire des auteurs comme Dario Fo par exemple, en y ajoutant la dérision, l’humour grinçant, le burlesque, la comédie. Il traite de ces sujets (ici la question de l’immigration) sans être didactique ou donneur de leçons, en faisant fonctionner intelligemment dans son texte le duo humour - émotion, et en faisant entendre sa poésie, son arrogance, son cynisme parfois.


J. S. : Vous évoquez régulièrement la dimension burlesque du texte de Stanislas Cotton. À la première lecture le texte semble plutôt tendre vers le tragique. Comment avez-vous découvert cet aspect ?


V. G. : Malgré le tragique de la situation, le burlesque est inscrit dans l’écriture de Stanislas Cotton. Au départ je ne pensais pas faire d’abord ressortir cela. Au cours de la lecture que nous avons faite avec les acteurs à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon durant le festival de cet été, nous sommes allés chercher d’abord l’émotion et la tension dramatique du texte, et le burlesque ne faisait que pointer le nez. J’étais plus attentif à la rythmique du texte, à la polyphonie, au côté « oratorio » que je garderai probablement au final.
Ensuite, c’est en travaillant avec quatre des acteurs du collectif du Théâtre du Nord sur Si j’avais su j’aurais fait des chiens (pièce que Cotton a écrite en 2005 et qui raconte comment une jeune fille devient tortionnaire dans une prison d’Abou Grahib) que très naturellement, et presque par surprise, est survenue la dimension clownesque et complètement burlesque de la langue de Cotton. Finalement, dans ce mouvement burlesque et parfois trivial, l’émotion arrive par surprise, presque par hasard. J’ai donc repris la lecture du Bureau national des Allogènes avec cette dimension-là. Un des premiers axes de répétition est pour moi de faire ressortir tous les ressorts comiques du texte.


J. S. : Dans quel univers ferez-vous évoluer les personnages du Bureau national des Allogènes ?


V. G. : Là-aussi, au départ, nous étions partis sur tout autre chose. Je devais probablement pressentir la dimension clownesque du texte sans savoir l’appréhender ! L’espace inventé initialement était un décor qui tournait pour faire évoluer les personnages dans l’espace dans une sorte de gémellité. La lecture à la Chartreuse a transformé le projet. Dans cette lecture, statique naturellement, les acteurs étaient dans une quasi-immobilité, unis par une chanteuse qui voyageait de l’un à l’autre. J’ai pris conscience alors avec le scénographe Jean-Pierre Demas, que plus nous commenterions le texte, plus nous l’illustrerions, et plus nous prendrions le risque de le perdre. Ce texte, et notamment le long premier monologue, dit tellement de choses qu’une vraie simplicité scénographique lui sied mieux.
Du projet initial, j’ai conservé cependant les axes essentiels : deux emprisonnements. Ces emprisonnements sont contrebalancés par la présence de la chanteuse (personnage qui n’existe pas dans le texte de Stanislas Cotton mais que j’ai ajouté) qui dessinera un espace de liberté. Mais cette liberté est une liberté insaisissable, un Eldorado lointain, un espace vide et noir – certes – mais chargé d’espoir aussi. Par rapport à cette grande liberté, je veux que les deux protagonistes soient eux des personnages emprisonnés. Dans la pièce, le personnage Rigobert Rigodon est un mort qui nous parle. Il évoluera dans un espace très noir sans repères. L’autre personnage appelé par Cotton L’Autre sans Feu ni Lieu évoluera quant à lui dans un espace très concret, très ancré dans le sol. Un travail très précis autour de la lumière et du son viendra souligner la charge fantastique du texte de Cotton.


J. S. : Vous allez présenter votre spectacle dans un climat politique très particulier en France. Quel dialogue entretient votre théâtre avec le politique ?


V. G. : C’est vrai que j’ai plus souvent choisi des textes politiques au sens large du terme : sur la famille ou des textes qui évoquaient en filigrane des réalités sociales difficiles. Même si pour moi les questions de famille et plus largement de rapports aux autres sont des questions politiques à part entière. À mes débuts à Roubaix, j’avais monté un texte de Klaus Man, Méphisto, dans une ville où l’extrême droite était très présente. Mes choix sont ensuite allés vers des choses plus proches de l’intime. Régulièrement, j’ai besoin de revenir à un théâtre clairement engagé politiquement, comme lorsque j’ai monté Volpone, critique satirique autour de l’argent et de ses méfaits. Je reste d’ailleurs aussi persuadé que Salina portait aussi une dimension politique forte, sur la question du cycle des vengeances humaines, du pardon impossible à donner ou à recevoir et de la condition de la femme. Là, avec Bureau national des Allogènes et l’écriture incisive de Cotton, nous sommes de plain-pied – d’autant plus à la veille des élections – avec l’actualité politique. Parler d’immigration, de sélection des émigrés, nous place bien sûr au cœur du débat et des contradictions qui sous-tendent ce débat. La pièce parle clairement de la notion d’altérité, du rapport que chacun entretient à l’autre, et aussi du racisme de base, celui que chacun de nous porte en soi. Mais pour moi, ce texte raconte aussi l’histoire de deux frères humains, de couleur de peau différente, nés à deux endroits différents du monde qui se heurtent dans leur volonté de changer le cours des choses, comme si tout changement (et c’est parfois vrai des grands changements politiques) ne pouvait se réaliser que par la mort. L’un va mourir d’une mort violente, l’autre sera jeté en prison pour un meurtre qu’il n’a (peut-être ?) pas commis. Créer ce texte aujourd’hui en France me paraît indispensable.


Propos recueillis par Jérôme Sallé, février 2007

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