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Brume de Dieu

+ d'infos sur l'adaptation de Claude Régy ,
d'après Fuglane de Tarjei Vesaas
mise en scène Claude Régy

: Entretien avec Claude Régy

Propos recueillis par Gilles Amalvi

Brume de Dieu est tiré du roman Les oiseaux de l 'écrivain norvégien Tarjei Vesaas. Vous avez mis en scène plusieurs textes de Jon Fosse, qui est norvégien lui aussi . Y a-t-i l dans la littérature nordique une tonalité, une lumière propre qui vous attire ?


Claude Régy : Oui, petit à petit, j'ai analysé pourquoi j'étais si attiré par cette littérature. Il est intéressant de lire la mythologie de ces pays : on découvre un monde totalement irrationnel, où toutes les frontières communément admises deviennent extrêmement floues. Pour quelqu'un qui est né en France, cette littérature offre la possibilité de sortir de l'enfermement du rationalisme, et de pouvoir rencontrer d'autres territoires ; des territoires qu'au nom de la raison, on n'explore pas – que l'on condamne même. En Norvège, les frontières entre le jour et la nuit sont complètement bouleversées – ce sont des lumières intermédiaires, que nous ne connaissons pas ; par exemple, cette idée de brume, où les choses deviennent non-claires. De plus en plus, m'intéresse cette lumière qui naît de obscurité. Cette signification particulière que seule l'énigme traduit. J'ai beaucoup travaillé ces dernières années avec des éclairages « demi-sombres », où les traits deviennent peu lisibles, où s'installe une instabilité qui me semble être une ouverture vers une plus grande imagination.
Quand on travaille en essayant de ne pas séparer les contraires, mais de les faire vivre ensemble, quand on ne pose pas une frontière nette entre les choses... je pense qu'on aborde un territoire nouveau, inconnu. Ce qui en résulte prend sa source dans les deux éléments qui l'ont fait naître – mais ces éléments restant soudés, se développant l'un par l'autre, les possibilités de variations sont infinies. C'est un lieu de travail que je trouve particulièrement intéressant, et qui n'est pas possible avec des écritures... plus classiques.


Dans Les oiseaux, c'est tout particulièrement la frontière entre folie et raison qui devient impalpable. .. Il s'agit là aussi d'un « lieu » que votre travail ne cesse d'interroger.


Claude Régy : Oui, c'est d'ailleurs quasiment le sujet de 4:48 Psychose de Sarah Kane que j'ai monté en 2002. Dans Les oiseaux cette dimension est génialement explorée à travers le personnage de Mattis. Mattis est considéré comme un demeuré, et chez lui, le « manque d'intelligence » est compensé par un instinct d'ordre presque animal ; il entretient des relations avec le vol des oiseaux, leur tracé dans le ciel... Il se met aussi à analyser les signes des pattes d'oiseaux dans la boue, il y voit un langage. Du coup il se met à dessiner lui-même des traces dans la boue, en pensant que l'oiseau pourra le comprendre. On voit apparaître à travers Mattis l'avènement d'un monde complètement impossible – et complètement inexploré.
Si on délaisse la frontière entre les gens « normaux » et ceux que l'on désigne comme des malades mentaux ou des demeurés, et qu'on s'occupe de ce qui s'y déroule réellement – sans magnifier la maladie – il est certain qu'il y a là à découvrir énormément, en particulier sur notre nature d'êtres humains. Même dans ce monde où le progrès s'affiche victorieux, la connaissance des secrets de l'être humain – de ce qu'il y a de plus secret en nous – n'a finalement pas beaucoup progressé. Il n'y a jamais eu tant de violence, d'injustice, d'actes de cruauté injustifiables...


Dans le livre Espaces perdus, vous expliquez que vous intéressent les textes qui vous permettent « d'approcher au plus près du trouble de la conscience de notre temps ». Qu'est-ce qui , dans ce livre, vous paraît adresser une question à notre époque ?


Claude Régy : Je crois que c'est lié à cette sorte de vanité, d'orgueil de la raison. J'ai été très heureux de lire cette phrase chez Jung : « La surestimation de la raison a ceci de commun avec un pouvoir d’Etat absolu : sous sa domination, l’individu dépérit ». Je crois que la recherche est là : découvrir ce qui dans l'homme est difficile à dire, difficile à exprimer. Les astrophysiciens nous expliquent qu'il n'y a aucune raison de nier l'existence de ce qu'on ne peut percevoir. Ces choses, ne pouvant les percevoir, on ne peut pas non plus en parler. En travaillant avec des comédiens je me suis aperçu que l'on pouvait explorer ces territoires. Que l'on pouvait essayer de travailler sur ce que l'on ne peut pas expliquer, que l'on ne peut pas nommer, que l'on ne peut pas clairement définir. C'est un état d'esprit, une disponibilité – il ne faut pas vouloir aller vite, être trop actif. Il faut écouter.


Cet état d'attente rappel le le titre du recueil de poèmes de Tarjei Vesaas : Être dans ce qui s'en va.


Claude Régy : Oui, c'est un très beau titre. Nous sommes dans le temps, et le temps s'en va ; nous sommes dans la vie, et la vie s'en va. Et néanmoins nous y sommes... Nous vivons dans le temps – phénomène que par ailleurs, nous ne pouvons pas expliquer... Nous vivons dans la disparition même. Il y a peut-être une vie plus intense dans ce qui est en train d'évoluer, de s'écouler – que dans ce qui est stable. Vivre dans ce qui ne peut être photographié en quelque sorte...


Comment avez-vous « adapté » ce roman pour le théâtre ? L'avez-vous « transcrit » comme une sorte de monologue, laissant entendre les voix intérieures de Mattis ?


Claude Régy : Il n'est pas évident de « faire parler un roman ». Par exemple, il est très difficile d'adapter Crime et châtiment ou L'Idiot de Dostoïevski. J'ai vu des adaptations théâtrales de ces oeuvres – et c'est souvent très frustrant. Donc je pense qu'il est plus juste de prendre un extrait intégral – un extrait dans lequel on peut sentir les différentes lignes de force du livre. C'est ce que j'ai fait pour Les Oiseaux : j'ai pris une quarantaine de pages qui forment une unité. Je voudrais faire entendre ce passage – et le faire entendre comme le récit lui-même. Je pense que le récit est quelque chose de fascinant – plus que le dialogue en fait. Il y a dans ce récit un trouble essentiel : admirer, être bouleversé, être ému, être attiré par quelqu'un que tout le monde juge comme un être inférieur.
L'extrait a été choisi par Laurent Cazanave, le jeune acteur avec lequel je vais travailler. J'avais fait un atelier sur Vesaas à l'école du TNB de Rennes, et j'avais proposé plusieurs extraits ; il a choisi celui-là. C'est un moment très particulier du livre : pendant une journée, Mattis vit un miracle. Des jeunes filles viennent se baigner près d'une île où il s'est retrouvé perdu, parce que sa barque prenait l'eau. Elles plaisantent avec lui – et tout en étant très heureux, il est inquiet : il se demande si elles sont au courant qu'il est considéré comme un demeuré ; mais elles ne savent rien de lui, elles viennent de loin. Et donc pendant un temps – presque entre parenthèses – il échappe à cette condamnation sociale. On voit du coup que cette condamnation est artificielle, qu'elle vient de l'extérieur. Et que lorsqu'on retire ce carcan, apparaît une efflorescence de l'être... Des traces de simplicité qui, elles-mêmes, deviennent des objets de beauté.
L'extrait choisi reste un moment de grâce, un moment exceptionnel dans la vie de Mattis – il y a des passages beaucoup plus cruels dans le livre. C'est la raison pour laquelle j'ai appelé le spectacle Brume de Dieu. J'ai emprunté ce titre au poème de Pessoa, Ode maritime. Ce titre m'a plu parce qu'il trahit deux dimensions : la brume qui obscurcit, qui rend trouble, flou – et en même temps il y a comme la suggestion d'une autre réalité à travers le brouillard. L'idée de Dieu, c'est simplement l'idée d'une autre dimension de l'être. Je ne crois pas spécialement en Dieu, et je ne crois pas que Vesaas y croyait non plus. Mais il avait l'intuition d'une dimension transcendantale.


Qu'est-ce qui vous intéresse dans cette forme très particulière, le monologue, et comment allez-vous le traiter pour cette pièce ?


Claude Régy : J'ai fait beaucoup de monologues. Ode maritime très récemment, mais aussi Holocauste ou Melancholia... J'aime beaucoup les solos ; c'est sans doute lié à ma conviction que le récit est supérieur au théâtre. C'est une idée que l'on retrouve chez Marguerite Duras par exemple ; à la fin de sa vie elle disait qu'à une forme théâtrale elle préférait la lecture. Elle a eu une véritable dévotion pour certains acteurs comme Madeleine Renaud, Michel Lonsdale, Bulle Ogier, Delphine Seyrig – qui sont par ailleurs des acteurs avec lesquels j'ai aussi travaillé ; néanmoins, elle a ressenti le besoin d'opérer une division des voix dans India Song – entre les scènes, muettes, et les voix disant le texte. Et cette part des voix, petit à petit, elle se l'est accaparée.
J'ai eu personnellement une expérience très particulière, avec un écrivain, Emma Santos, qui était une malade mentale. J'avais engagé des acteurs pour dire son texte, mais elle n'a pas supporté les premières lectures – elle n'a pas supporté d'entendre son écriture mise à l'extérieur d'elle-même. Du coup elle m'a demandé de faire le spectacle elle-même – ce qu'elle a fait, remarquablement. C'est un exemple frappant de ce qu'il est possible de faire, quand on ne condamne pas la maladie comme non-mélangeable avec le monde dit « normal ». Il y a une phrase dans 4:48 Psychose qui parle de « l'insanité chronique des sains d'esprits ». Quand j'ai monté 4:48 Psychose, j'ai d'ailleurs été frappé de la proximité entre l'écriture de Emma Santos et certains passages de Sarah Kane – qui, elle aussi, a fait le va-et-vient entre l'hôpital et une activité normale.


Mattis est le centre d'une sorte « d'interférence de réalités ». Comment, par la mise en scène, voulez-vous rendre perceptible cette interférence, ce trouble ?


Claude Régy : Pour moi, l'essentiel est dans le texte. Ce brouillage, il est dans le texte. Il faut chercher à restituer honnêtement le texte – en sachant que l'essentiel de l'écriture, c'est ce qui n'est pas écrit ; que ce qui est écrit ne sert qu'à suggérer, à nous faire entendre ce qui n'est pas écrit – cette voix muette de l'écriture dont parle Jon Fosse. L'essentiel est de ne pas croire que le sens est dans les mots. La langue doit au contraire révéler un monde caché – c'est ce que disaient déjà les Hébreux : il y a le sens évident et le sens caché des mots. Il y a aussi le sens enfoui sous le sens caché, et puis le sens suggéré, le sens forcé... Il y a une multiplicité de sens. Les écritures dont nous parlons ont conservé le privilège de pouvoir nous faire entendre la pluralité des sens. Ce titre dont nous parlions « Être dans ce qui s'en va »... on peut l'entendre de très nombreuses manières. C'est ce qui fait que le récit est en même temps « ce que l'on entend » - et autre chose. Plusieurs réalités sont rassemblées, se font sentir chacune à leur manière – et toutes ensemble.


Comment travaillez-vous avec les acteurs pour produire – dans le corps , la voix, la présence – cette écoute du non-dit ?


Claude Régy : Il est toujours très difficile d'expliquer comment on travaille avec les acteurs.
C'est une question à laquelle tout le monde voudrait avoir une réponse... A ce propos, Jon Fosse dit : l'essentiel de l'écriture n'est pas l'activité d'écrire. L'essentiel, c'est d'écouter. Il s'aventure à dire que pour un acteur, l'essentiel n'est pas de faire, mais également d'écouter. Et il pense que l'on peut étendre cela au metteur en scène – idée que je partage tout à fait. C'est pour cela qu'il faut commencer, très humblement, autour de la table, par écouter le texte, la voix qui le dit – chercher la rencontre de la voix et du texte. C'est à partir de cette passivité, de cette écoute que l'on peut demander à l'acteur de ressentir puis de transmettre cette sensation ; surtout, de voir les images que le texte crée, et d'essayer de les transmettre.
Dans un spectacle où il n'y a pas d'images, mais seulement un acteur qui parle, les spectateurs peuvent voir une richesse d'images tout à fait extraordinaire. J'en ai eu la révélation en mettant en scène L'Amante anglaise de Marguerite Duras. Après avoir écrit Les Viaducs de la Seine et Oise, Duras est revenue à des dialogues qu'elle m'a demandé de mettre en scène – et il était impossible de faire du théâtre avec cela ! Du coup, nous en sommes arrivés à une immobilité totale. Après la représentation, les spectateurs venaient nous voir, et nous parlaient de ce qu'ils avaient vu ; ils décrivaient les choses avec une précision extraordinaire. On peut donc faire voir sans rien montrer – et les spectateurs voient d'autant plus que l'on ne bloque pas leur imaginaire par des images imposées. De Duras je suis passé ensuite à Meschonnic, dont j'ai monté des traductions de la Bible. Meschonnic parle dans ses textes théoriques d'une théâtralité inhérente au langage. S'il y a une théâtralité inhérente au langage, il faut être très prudent avec l'autre théâtralité – celle qui s'exprime par des moyens extérieurs – visuels ou sonores...


Cela me rappelle un film de João César Monteiro, Blanche-Neige, adapté d'un texte de Robert Walser. Au début du tournage, il a simplement posé sa veste sur la caméra, donnant à voir du noir , et laissant au spectateur la possibilité d'écouter les images révélées par les voix.


Claude Régy : C'est une idée très importante. On voit aujourd'hui – au nom de la technologie – des spectacles se laisser envahir par la vidéo. Je n'ai rien contre, il peut y avoir des vidéos magnifiques. Mais quand on projette des images, c'est souvent un encouragement à la paresse de l'imagination des spectateurs. Je cite souvent cette publicité de Sony : « j'en ai rêvé, Sony l'a fait »... Sony fait tout – et prend la place du rêve. Il faut laisser au spectateur une part du travail – non pas la part du sens, l'extériorité du texte – mais ce qu'il a de secret ; leur permettre de devenir écrivains, acteurs, metteur en scène. Peter Handke, dans une de ses premières pièces – dite « pièce parlée » – n'utilise que des phrases qui se contredisent ; elles doivent être dites par plusieurs acteurs, mais en fait, c'est comme si une seule personne parlait. Il y a dans ce texte cette phrase : « je suis venu au théâtre, j'ai vu cette pièce, j'ai joué cette pièce, j'ai écrit cette pièce ». Le chemin est inverse, mais on retrouve l'idée que c'est le spectateur qui écrit le spectacle.


Un aspect important de l 'écriture de Vesaas est son style parfois trébuchant, plein de déséquilibres. ..


Claude Régy : Oui, on a presque l'impression qu'il ne sait pas écrire. Quand on lit les différentes oeuvres, on se rend compte que chaque livre a une écriture, un style différent. Comme si il avait cherché toute sa vie sa « voix » d'écrivain. On sent comme une volonté instinctive de trouver l'essence de ce qu'il veut dire ; par là, il touche à l'impossibilité de dire. L'écriture – c'est pour ça qu'elle existe – n'arrive jamais à dire ce qu'elle voudrait dire. C'est de cette impossibilité, de ces heurts que s'échappe la spécificité d'une écriture. C'est assez proche de Mattis finalement. Si ce roman est si extraordinaire, c'est qu'il devait y avoir en Vesaas une part – je ne dis pas de « demeuré » – mais une part d'hésitations, de doutes, de répétitions, qui sont le propre de ce personnage. Et comme son écriture ne cherche pas à cacher cette difficulté – il arrive à exprimer des choses inouïes, des choses que les écrivains habiles, ceux qui trouvent, ne pourraient pas écrire. Il ne faut pas trop savoir dire pour écrire...
La relation ente Vesaas et Jon Fosse est intéressante : Fosse explique qu'il a commencé à écrire après avoir découvert l'oeuvre de Vesaas. Il y a une parenté entre leurs écritures, dans la recherche de ces territoires troubles, entre ombre et lumière... La grande différence, c'est que Fosse est un homme cultivé, qui a fait des études, qui a beaucoup lu – alors que chez Vesaas, on sent quelque chose de très proche de la terre. On sait qu'il est né dans une famille de paysans, qu'il a travaillé avec son père très jeune – un homme rude, qui parlait peu. La culture dans ces pays est particulièrement dure – et le jeune Vesaas était destiné à reprendre la ferme. Il y a une nouvelle dans son dernier livre, « La Barque le soir », qui rappelle cette atmosphère : un père et son fils travaillent dans cette terre glacée, et le cheval de labour se blesse...
En revanche, on sait que dans cette ferme, malgré le mutisme du père, il y avait des veillées de lecture. Il n'y avait pas un soir sans que quelqu'un fasse la lecture aux autres. On sait aussi qu'à son adolescence, Vesaas a bénéficié d'une université pour adolescents, et qu'il a été mis en contact à ce moment là avec la littérature – les livres de Knut Hamsun par exemple, dont il parle très souvent. Sa vocation d'écriture l'a amené à renoncer à prendre la succession de son père. Mais après avoir voyagé en Europe, il a acheté une maison tout près de la ferme de son père, et il a vécu toute sa vie dans cette région. Il écrit d'ailleurs dans cette langue, qu'on appelle le Nynorsk – une forme particulière de norvégien. Je ne peux pas vraiment juger – je ne parle pas norvégien – mais c'est une langue rude, avec des aspérités, difficile à manier.


C'est un peu la place de l 'écrivain qui est représentée à travers Mattis – celui qui déchiffre le langage des oiseaux alors que le reste de la société est occupé à travailler.


Claude Régy : Pendant que les autres ne déchiffrent que des chiffres, oui... On sait très bien qu'en art, le résultat immédiat ne compte pas. Souvent les grands artistes ont mis très longtemps à accomplir leur chemin. Si on avait jugé Varese sur son premier concert – pendant lequel les gens rigolaient... Peut-être que Mattis permet de révéler l'incompréhension du monde pour ce qui est vraiment important. Nos esprits – formés par l'état, la famille, les religions, l'économie – sont conditionnés pour vivre complètement à l'envers. De temps en temps, des oeuvres comme celle-là remettent les choses à l'endroit, me semble-t-il. Alors même qu'elles n'ont l'air de rien... Ce que raconte l'extrait, c'est un jeune homme qui manque de se noyer dans un bateau troué, et deux jeunes filles qui viennent se baigner en maillot de bain autour de lui ; c'est très simple, très réaliste, mais aussi plein de brèches vers une autre perception des choses.


Pour revenir à la mise en scène elle-même, d'où vient ce choix de travailler avec un jeune acteur ?


Claude Régy : Il m'arrive souvent de travailler avec de jeunes acteurs, dans le cadre de stage, ou d'écoles. Et parfois, ce travail débouche sur une idée de spectacle. Ça avait été le cas avec Marcial Di Fonzo Bo lorsque nous avions fait Paroles du sage, traduction de L'Ecclésiaste par Henri Meschonnic. Nous l'avions créé à Rennes, dans un petit espace sous les gradins du TNB – puis le spectacle avait été transporté à la Ménagerie de Verre. La salle de la Ménagerie est basse de plafond, mais elle a des proportions assez magiques. C'est un endroit que j'aime beaucoup, j'ai donc décidé de faire ce spectacle à la Ménagerie de Verre à Paris. Nous allons commencer à y répéter en décembre, on jouera pendant les fêtes, et jusque fin janvier, dans une jauge très restreinte. De nouveau c'est une expérience assez humble, et de nouveau elle commence à Rennes. Ce qui m'intéresse, c'est d'explorer des textes littéraires, et de le faire avec de jeunes comédiens – qui ne sont pas encore gâchés par l'exercice du métier. Le travail étant ce qu'il est, si un acteur ne travaille pas, il est rapidement exclu. Du coup, comment faire autrement qu'accepter de jouer du théâtre conventionnel ? Comment se maintenir dans la recherche, la difficulté ?


Le travail sur la lumière a une place très importante dans vos mises en scène. Comment allez-vous traiter cette dimension pour Brume de Dieu ?


Claude Régy : Pour Ode maritime, j'ai eu envie d'expérimenter une qualité de lumière très particulière, les LED. Les gens de théâtre l'utilisent peu, parce qu'ils n'en ont pas vraiment l'habitude, et parce que la technique n'est pas encore tout à fait au point. Pour les spectacles prochains, je compte continuer à expérimenter avec cette qualité de lumière-là. Ce sont des diodes – donc c'est de la lumière pure, il n'y a pas de gélatines. On ne voit pas les faisceaux, on n'arrive pas à distinguer d'où vient la lumière – elle a l'air d'émaner de l'acteur luimême. Dans ces basses intensités que je fréquente volontiers, il y a une netteté remarquable, et en même temps, une sorte d'hallucination par le flou. Pour moi, le travail sur la lumière est une manière de transformer l'être. Il y a plusieurs êtres en chacun de nous, et il est important de les laisser apparaître – de ne pas photographier un seul aspect, une seule image.


Vous voulez en quelque sorte rendre le corps sur scène à l 'état de brume...


Claude Régy : Voilà, en travaillant sur le corps, sur le visage. Pour parler de mon expérience précédente, j'avais pris le parti de très peu éclairer l'acteur, pour que l'imaginaire soit libre de voyager à partir du texte. Si on s'attache trop à la figure et au travail de l'acteur, on a moins d'espace pour libérer l'imaginaire. Après, il ne s'agit pas de travailler dans l'obscurité complète. Malgré tout, l'image est importante, le corps, le support de l'être humain – c'est à partir de là que l'on peut raconter l'histoire de tous les êtres.

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